Article de Julius Evola publié initialement dans « Il Popolo Italiano » le 8 septembre 1957.
Dans toute grande religion, il est possible de distinguer deux parties. La première, que l’on peut qualifier de mystique ou d’éternelle, est tournée vers le haut et vise à établir une certaine relation entre l’homme et le spirituel et le transcendant. La seconde partie, que l’on peut appeler « sociale » ou morale, consiste en un ensemble de normes et de règles de conduite dans la vie quotidienne. Si la première partie est essentielle et constitue le noyau impérissable de toute religion, la seconde est, dans un certain sens, accidentelle et changeante, car elle est influencée à la fois par la diversité des peuples et des sociétés et par les contingences historiques.
Il est important de faire cette distinction pour l’orientation générale, et c’est aussi dans l’intérêt de la tradition religieuse elle-même. En effet, dans les moments de crise, lorsque la critique montre la relativité et la mutabilité de certaines normes et préceptes auxquels on avait attribué le statut de loi divine, cette distinction permet d’éviter que cette critique ne blâme la partie supérieure d’une religion qui regarde vraiment vers le haut.
Cette prémisse est nécessaire pour aborder le problème auquel nous voulons consacrer quelques brèves considérations, c’est-à-dire le problème de la conception du sexe propre à la religion qui a fini par prédominer en Occident. Cette conception souffre d’une confusion des domaines qui est caractéristique du christianisme et que les efforts des théologiens n’ont réussi à éviter qu’en partie. Il s’agit d’une confusion entre les normes à visée ascétique, et donc destinées à une petite minorité, et les normes qui devraient plutôt prévaloir pour le monde et les masses. Si l’on considère d’autres religions – par exemple le judaïsme, l’ancienne religion persane, l’islam, le brahmanisme – en ce qui concerne le second domaine, elles ont été loin de prêcher contre et de condamner tout ce qui relève de l’ordre naturel. Dans la mesure où la nature était ici conçue comme une œuvre divine, la loi donnée à ceux qui vivent dans le monde visait à la sacralisation de toute activité, de tout élan et de toute institution, c’est-à-dire à une référence au haut qui, d’une certaine manière, transfigurait et donnait un fondement spirituel à tout ce que faisait l’homme. Ce que l’apologétique chrétienne dit du « paganisme » des religions non chrétiennes et préchrétiennes, en leur attribuant une soumission à tout ce qui est « nature », n’est que fantaisie ; il est connu de tout étudiant de la science des religions que, dans ces cultes, des rites et des règles sacrées accompagnaient chaque événement de la vie, qu’il soit individuel ou collectif. Il en va de même pour tout ce qui concerne le sexe et la femme.
Dans le christianisme, notamment sur ce dernier point, les choses se sont passées différemment. Il est clair que l’on a tenté d’introduire dans la vie du monde des normes qui ne sont valables et sensées que sur le plan ascétique. En ce qui concerne les exemples, nous n’avons que l’embarras du choix. Le précepte d’aimer son ennemi, de tendre l’autre joue, de ne pas se soucier du lendemain, d’imiter les fleurs des champs et les oiseaux du ciel, et ainsi de suite, jusqu’à ce que certains catholiques d’aujourd’hui, en mal « d’ouverture à gauche », aient voulu voir une justification chrétienne du pacifisme et du socialisme, sinon du communisme lui-même. Toutes ces normes et règles peuvent être valables dans une discipline qui appelle à l’ascèse et à la « sainteté », mais ne le sont certainement pas pour celui qui vit dans le monde. Ce n’est pas seulement que la société n’est pas ordonnée selon ces normes, mais qu’elles rendent toute société impossible. Et en effet, si des États chrétiens ont existé, il n’existe plus d’État chrétien, c’est-à-dire informé pratiquement et rigoureusement par les principes « sur-mondains » de la morale évangélique. Or, on peut dire la même chose de la sexualité. La sexualité peut être condamnée, et la retenue placée comme un idéal du point de vue ascétique. Mais en faire une règle de vie dans le monde est une absurdité. Une fois de plus, c’est confondre deux domaines distincts. De diverses manières, les théologiens ont tenté d’atténuer ce dualisme entre le monde naturel et le monde surnaturel qui caractérisait le christianisme primitif. Mais en ce qui concerne la sexualité, ils sont restés dans une position hybride et paralysante : un préjugé moralisateur à l’égard de la sexualité, ou plutôt une sorte de « haine théologique » à son égard. La relation stricte entre sexualité et péché est une caractéristique qui ne s’est jamais perdue et qui a fini par prédominer en Occident, ce qui la met en contraste avec les autres religions créationnistes mentionnées ci-dessus. En effet, comme nous l’avons noté, ces religions ont pris soin de sacraliser la sexualité, et non de la réprimer et de la stigmatiser.
La fonction de procréation a souvent été glorifiée par ces religions comme un reflet de la puissance créatrice divine en l’homme. Pour tout chrétien, il semblerait blasphématoire que l’islam prévoie des invocations divines pendant l’acte sexuel, que l’Iran ancien promette même des grâces divines à celui qui mettrait le plus d’ardeur dans l’étreinte sexuelle, que les formules hindoues bien connues rendent présents des symboles cosmiques et sacrés dans l’union des sexes, et ainsi de suite. Sans parler des courants, comme le dionysisme, qui reconnaissaient dans l’extase sexuelle des possibilités mystiques. Nous savons que Platon lui-même plaçait l’impulsion de l’éros à côté de diverses sortes d’enthousiasmes divins, prophétiques et initiatiques.
Si nous disions qu’il n’y a aucune trace de cela dans le christianisme, on nous rétorquerait qu’il reconnaît le mariage comme un sacrement. Mais là encore, on constate l’hybridation que nous venons d’évoquer. Tout d’abord, le mariage en tant que sacrement est un développement tardif dans la tradition catholique. Il n’a pris cette forme que vers le 13e siècle et n’est devenu obligatoire en tant que tel qu’après le Concile de Trente. En outre, le mariage est conçu par le christianisme comme un « pis aller », comme un expédient dû à la faiblesse humaine, car, comme le dit saint Paul, « il vaut mieux se marier que de brûler de passion ». Autrement, c’est la chasteté, l’abstinence qui sont l’idéal : non pas « l’union sacrée », mais « l’union chaste ». Personne ne sait de quel type d’union il s’agit.
Ce qui est confirmé par l’idée que la seule finalité du mariage est la procréation, c’est-à-dire la finalité la plus naturelle ou biologique que présente la sexualité : mais s’y adonner pour toute autre finalité, même dans un couple marié, serait un péché. Il est évident que le caractère de sacrement conféré au mariage ne conduit pas à un changement de plan, ni – comme dans l’orientation déjà mentionnée de l’ancienne sacralisation – à d’autres dimensions spirituelles, à l’expérience sexuelle prise en elle-même ; il la laisse comme une simple nécessité de la nature, et a, en fin de compte, une importance sociale : elle soutient le système d’une société qui se trouve être monogame (même ici, la relativité de la partie purement sociale et morale de la religion est visible, puisque l’Ancien Testament autorisait notoirement la polygamie), en cherchant à le renforcer par le biais de l’indissolubilité du mariage.
La confusion de tout cela a fait que tout ce qui relève du sexe devient sauvage par la répression, avec beaucoup d’hypocrisie, jusqu’à ce que la barrière soit franchie. C’est pourquoi nous assistons aujourd’hui à une sorte de déchaînement de tout ce qui est lié au sexe et à la femme, dans le sens le plus primitif, le plus pandémique et le plus dangereux. C’est pourquoi il est nécessaire de revoir les relations entre la spiritualité et le sexe.