La série « Bref » comme arme de démoralisation.

Récemment, une nouvelle série est sortie sur « Disney + » : « Bref » (Saison 2). Il s’agit de la suite de « bref. », la série sous forme de « shortcom » qui était sortie il y a quelques années sur le Grand Journal de Canal +. Dans un moment de faiblesse, fatigué après une journée de travail à suer sang et eau pour payer la retraite géante d’un immonde Boomer ingrat, je m’installais chez moi et regardais Youtube : il y avait le premier épisode de cette saison 2 qui était disponible, alors j’ai regardé. Je ne me suis toujours pas remis de ce visionnage et c’est la raison pour laquelle je vais en parler dans cet article.

Absolument tout dans cette série, sur le fond comme sur la forme, relève de la guerre psychologique, et notamment de l’une de ses formes particulières : la démoralisation. Le but, c’est que le spectateur soit privé de toute force morale et de confiance en lui. Le personnage principal, qui est joué par l’Iranien Kyan Khojandi, est l’archétype parfait du loser : quarantenaire petit, moche, grassouillet, dégarni, sans talents ni ambition, ni projets, ni argent, ni quoi que ce soit qui pourrait justifier qu’un personnage aussi médiocre devienne le personnage principal d’une histoire. Les arcs narratifs de cette deuxième saison, comme de la première d’ailleurs, ne tournent qu’autour d’enjeux extrêmement vils et bas : avoir de l’argent, baiser une gonzesse, aller à une soirée, boire un verre avec des « potes », pleurnicher en repansant à son ex, essayer d’être le plus médiocre possible, d’en faire le minimum au travail ou dans la vie, chercher la facilité quoi qu’on fasse, etc. Ce sont toujours des objectifs narratifs ou des enjeux liés aux aspects les plus basiques de la vie quotidienne. Ce sont des aspects de l’existence dont on ne parle jamais, précisément parce qu’ils n’ont aucun intérêt et parce qu’ils relèvent des domaines les plus « naturalistes » de la vie : boire, manger, dormir, baiser. 

La forme est peut-être même pire que le fond : cut extrêmement rapides, aucune scène ne dure plus d’une minute. Tout est fait pour que la façon de filmer corresponde à un « edit » sur TikTok. Probablement parce que le normie moyen qui regarde ce genre de choses ne possède qu’une capacité de concentration d’environ 8 secondes. On « bombarde » le spectateur de micro-scénettes qui s’enchainent les unes à la suite des autres de façon à ce qu’on n’ait pas le temps de réfléchir, de penser, de voir réellement ce qui se passe à l’écran. C’est la même chose pour la bande-son et la musique. Car si le spectateur avait eu le temps de s’attarder sur la même scène pendant un certain temps, il réalisera immédiatement qu’il est en train de regarder du vide abyssal. 

Sans aucune surprise, cette saison 2 de « Bref » semble plaire particulièrement aux gauchistes et autres normies de Twitter ou de Reddit. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cela ne me surprend pas. Forcément, un spectateur va s’identifier aux personnages qui présentent quelques similarités avec ce qu’il est lui-même. C’est ainsi que les femmes adolescentes ont tendance à s’identifier aux actrices qui jouent dans des comédies romantiques ou que les jeunes adolescents ont tendance à s’identifier avec le héros ou l’espion des films d’aventures, parce qu’ils ont eux-mêmes envie de vivre des aventures, de se mesurer au danger ou d’explorer des endroits inconnus. Le petit gauchiste urbain cadre du tertiaire dans un bullshit-job lié aux « enjeux climatiques de demain » (MDR) s’identifie parfaitement avec le héros de « Bref », car il y a une identification complète entre le spectateur et le personnage de la série. C’est un loser dont les ambitions sont incroyablement banales, son univers mental se résume à des « sorties », des « filles » et dans le fait de « boire un verre » et de « fumer un pétard ». Dans une certaine mesure, on peut dire que cette série est un succès parce que les scénaristes ont parfaitement su cerner leurs cibles. 

Selon certains critiques, « les thèmes abordés résonnent parfaitement avec notre époque » (selon Allociné). Et justement, on ne pouvait pas mieux dire puisque c’est justement ce que je reproche à cette série : être un miroir si parfait de cette époque de merde, avec ses sujets de merde, son public de merde, sa vie de merde, ses « idéaux » de merde, et surtout, son humour de merde. Notre époque produit des personnages de « bref » à la chaine : la rue, les transports en commun, les bars & restaurants sont remplis de millions de petits normies insignifiants dont la vie ne possède aucune valeur transcendante. Si vous avez des collègues ou des amis normies, vous voyez certainement de quoi je parle : ces petits êtres étriqués dont les perspectives intellectuelles se limitent au dernier film, à la dernière série, à la soirée « cool », au fait de « se bourrer la gueule le week-end », aux amourettes bas-de-gamme et au plan-d’un-soir de peine-à-jouir. Je le dis sans gêne : il est préférable de commettre le « Hara-Kiri », le noble et traditionnel suicide rituel du Japon, plutôt que de vivre en normie. 

« Alors Oui OK Raffaello, mais tu en demandes trop à une simple série ! Une série de ce type n’a pas à montrer de « valeurs transcendantes » ! D’ailleurs il est impossible de montrer une voie métaphysique quand on met en scène le quotidien ! ». 

C’est là l’avis le plus désastreux que l’on puisse avoir ! Il est tout à fait possible de montrer une voie métaphysique par l’intermédiaire d’une œuvre qui a pour sujet le « quotidien », ou, pour nommer les choses comme Bronze Age Pervert : la « simple vie ». Et je vais ici vous parler de trois films sortis en 1999 qui ont parfaitement réussi à montrer aux spectateurs l’enfer du « quotidien », tout en montrant une voie vers le dépassement (métaphysique) de la « simple vie ». 

American Beauty.

Ce film nous raconte les aventures de Lester Burnham, un cadre d’âge moyen vivant en banlieue, qui déteste son travail et qui est malheureux en ménage avec Carolyn, une agente immobilière ambitieuse et névrosée. American Beauty s’ouvre sur une vue aérienne de la banlieue américaine typique, dans laquelle Lester Burnham vit une existence pathétique. Il se présente au public par le biais d’un monologue racontant une journée de la vie de sa famille, sur un ton épais et sérieux, descriptif mais empreint d’un léger sarcasme. « Regardez-moi : ça, c’est le meilleur moment de ma journée, quand je me branle sous la douche », dit-il. « Ce sera le point culminant de ma journée. À partir de là, c’est la dégringolade. » Il dégage une sorte de maladresse enfantine, qui contraste particulièrement avec la politesse surjouée et épuisante dont fait preuve sa femme Carolyn (Annette Bening) en taillant ses roses rouges et en bavardant avec leurs voisins. Lester révèle également au public qu’il sera mort dans moins d’un an, ce qui implique un sentiment d’omniscience qui contraste avec son ignorance. « Bien sûr, je ne le sais pas encore », ajoute-t-il. « D’une certaine manière, je suis déjà mort »… 

Pour Lester, « être déjà mort » signifie être coincé en banlieue, vivre dans l’ombre de sa femme autoritaire et être coincé dans un emploi à la con, circonstances qu’il tient pour responsables de son découragement face à la vie, et de son incompétence émotionnelle en tant que père pour sa fille adolescente, Jane. Jane ne peut pas s’identifier à ses parents pour les mêmes raisons que la plupart des adolescents, mais Lester creuse l’abîme qui les sépare lorsqu’il développe une obsession pas si subtile pour sa meilleure amie, Angela, un mannequin amateur. Cet engouement ravive sa soif de vivre (ou peut-être simplement sa libido) et déclenche une crise de la quarantaine archétypale, au cours de laquelle il quitte son emploi, achète une Pontiac Firebird de 1970 et commence à faire des exercices de musculation dans son garage tout en se défonçant avec l’herbe qu’il achète à Ricky Fitts, l’adolescent qui vit à côté de chez lui. D’une certaine manière, on peut dire qu’il y a un côté « Bronze Age Mindset » dans la façon dont Lester gère sa crise de la quarantaine : en cherchant à baiser des ados qui ont l’âge de sa fille, en pratiquant la musculation, en quittant son boulot, en prenant de la drogue.

Nous ne sommes pas du tout dans « Bref », où le personnage se contente de « vivoter » d’un plan à l’autre de l’existence. Dans American Beauty, le personnage principal sait qu’il mène une existence de merde et cherche à s’en extirper à sa manière. Est-ce à dire qu’il faille faire exactement la même chose ? Pas nécessairement (même si coucher avec des petites minettes de 18 ans et faire de la musculation ne vous fera pas de mal). Mais ce qui distingue le personnage de Bref et le personnage de Lester, c’est que Lester se libère des contraintes de la vie « quotidienne » avec légèreté, ironie et amusement, (c’est la voie métaphysique du « détachement parfait » tel qu’il est enseigné en Inde, dans la Bhagavad-Gita, et en Chine, dans le Tao). A l’inverse, le personnage de Bref ne se libère pas : il ne profite pas de la drogue pour libérer son esprit, il ne profite pas de son chômage pour partir en quête de liberté, il ne se sert pas des femmes comme un moyen de libérer sa libido. Il se contente de subir la « simple vie » et de la traverser de manière passive. 

(Une petite précision de métaphysique est nécessaire ici : la « passivité » n’est pas la même chose que le « détachement ». Dans un cas, il ne s’agit que d’absence de réaction, absence d’initiative, absence d’intérêt, alors que dans l’autre, il s’agit véritablement d’un état de l’âme qui, dans la contemplation, s’abandonne entièrement à « l’action divine ». Lisez la Bhagavad-Gita si vous souhaitez en apprendre plus sur cette question).

Fight Club. 

Dans ce film, le personnage principal est un technicien de rappel en usine de voitures défectueuses pour une grande marque. Trentenaire célibataire, désillusionné par la vie et par son travail, il souffre d’insomnie chronique et cherche un moyen de s’évader de son existence monotone. Son médecin lui suggère de participer à des « groupes de parole » centrés sur divers troubles et maladies, de façon à relativiser son état de souffrance. Le narrateur rejoint donc un groupe de victimes du cancer des testicules et s’aperçoit que se faire passer pour une victime lui permet de se « sentir en vie » et de soigner son insomnie. Il y prend goût et décide d’intégrer d’autres groupes d’entraide mais remarque bientôt qu’une femme, Marla Singer, participe comme lui à tous les groupes. Incommodé par la présence d’un autre « imposteur », il négocie avec elle pour qu’ils se répartissent les différentes séances hebdomadaires. C’est alors qu’il fait la connaissance de Tyler Durden en revenant d’un voyage d’affaires… Ensemble, ils vont fonder le « Fight Club », dont la première règle m’interdit de vous en dire davantage…

Le personnage de Fight Club dépasse la « simple vie » par la voie de l’action : la voie du « kshatriya » (c’est-à-dire la voie du guerrier, du noble, de « l’Arya »). La violence (et particulièrement, la violence envers lui-même) lui sert de « support » métaphysique, c’est-à-dire de moyen de dépasser sa condition humaine quotidienne de petit salarié du tertiaire. En plus d’être un film brillant, Fight Club fait appel à quelque chose qui sommeille en chaque homme, le besoin de se battre, de vaincre, et surtout, de « se vaincre soi-même » (de vaincre ses propres peurs, ses propres faiblesses, ses propres limites). Là encore, il n’y a rien à voir entre ce personnage et le personnage de Bref, qui justement, cherche à tout prix à éviter la violence, l’affrontement. Le personnage de Bref est un homme « mou », d’une mollesse viscérale, peureuse, tétanisée, effrayée. La voie du guerrier, ou « voie de l’action » s’oppose à la contemplation, mais il est dit dans la Tradition Primordiale qu’elles peuvent mener aussi bien l’une que l’autre à la libération. A vous de voir si vous êtes plutôt un homme d’action ou un homme de contemplation, mais quel que soit votre choix, éviter de terminer comme le personnage de Bref. 

Matrix. 

Le programmeur informatique Thomas Anderson est un employé sans histoire dans une grande « firme » de « software ». Petit employé de bureau anonyme le jour, il est aussi pirate informatique la nuit. C’est à ce titre qu’il rencontre Trinity, puis Morpheus, qui vont lui révéler la vérité de son existence : un futur dystopique dans lequel la réalité telle que perçue par la plupart des humains est une simulation virtuelle, la « Matrice », créée par des machines douées d’intelligence, afin d’asservir les êtres humains, à leur insu, et de se servir de la chaleur et de l’activité électrique de leur corps comme source d’énergie. Une fois « réveillé » et parfaitement conscient de la véritable nature du « réel », Thomas Anderson, dit Néo, combattra pour le réveil de l’humanité. On a déjà tellement parlé de ce film dans l’androsphère, ne serait-ce qu’en utilisant depuis des années l’expression « pilule rouge », que je n’ai presque rien à ajouter sur ce qui a déjà été largement dit par ailleurs. Cette fois, nous sommes dans une autre voie de détachement du quotidien, la voie la plus difficile mais aussi la plus « libératrice ». La voie de l’Illumination, c’est-à-dire la libération du cycle des existences successives et du conditionnement dû au karma. Par cette voie, on ne se contente pas de se détacher de la « simple vie » (comme dans American Beauty) ou de la combattre (comme dans Fight Club), mais on réalise que cette « simple vie » n’est en réalité qu’une illusion. Ainsi, seul « l’Être » est réel, et le « faire » et « l’avoir » n’ont aucune réalité propre. C’est la voie de l’Advaita-Vedanta, la « non-dualité ». Cette voie de dépassement du quotidien permet à celui qui la réalise de se rendre compte qu’il n’est même pas utile de « changer » son quotidien, du moment qu’il réalise que ce « quotidien » n’a pas d’existence propre (« la cuillère n’existe pas »). 

Inutile de dire qu’on ne trouve rien de comparable dans la série « Bref ». Le personnage principal de Bref ne fait aucun effort pour tenter de percer « sa » réalité à jour. Il se contente (encore une fois – je me répète) de « vivre » son « réel » sans en questionner ni la nature, ni la réalité. 

Il est donc parfaitement possible de présenter, de filmer et de raconter une histoire qui repose sur le « quotidien » et la « simple vie » et de présenter aux spectateurs des moyens de transcender celle-ci. Dans « Bref », saison 2, rien n’est fait pour dépasser ce qui est montré. La réalité médiocre du personnage principal est filmée en elle-même, sans possibilité de dépassement. La vie quotidienne, dans ses aspects les plus basiques, les plus « chiants », les plus « neutres » ou les plus « vulgaires » est montrée comme une limite indépassable. Le personnage ne fait que tourner en rond dans les mêmes problèmes que ceux qu’il a rencontré lorsqu’il avait 30 ans. Et on image que cette trajectoire ne va pas changer par magie : le personnage est destiné à rester tel qu’il est (c’est-à-dire tel qu’il nous est montré) jusqu’ à ses 50 ans, 60 ans, etc… 

C’est pour toutes ces raisons que le fait d’avoir apprécié ou détesté cette série en dit long sur la personne que vous êtes. Considérez-vous votre quotidien comme une limite indépassable ? Rêvez-vous à quelque chose de plus grand que vous ? Êtes-vous attiré par quelque chose qui vous englobe et vous dépasse ? Si vous faite partie de ces gens dont les préoccupations dépassent rarement le stade matériel et biologique, vous apprécierez la saison 2 de « Bref », qui n’a rien d’autre à vous offrir qu’une complaisance morbide sur les « galères » de la vie moderne. 

En revanche, si quelque chose dans votre mental, votre âme ou votre esprit vous pousse à chercher ce qui est « au-delà » de votre existence, vous serez certainement horrifié par cette série qui vous renvoie (presque de force et contre votre volonté) vers les aspects les plus « bas » de l’existence. 

Je précise, en guise de conclusion à cet article, que ma critique ne porte pas sur le « quotidien » lui-même. Nous menons tous une vie moderne parfois étouffante, prisonnier que nous sommes dans les transports, les emplois, les relations et les besoins naturels de nourriture, de confort et d’habitation. Je ne fais pas exception à cette règle.

La seule chose qui permet de vous distinguer du normie, c’est que vous ne devez pas vous contenter de vivre votre « quotidien » : vous devez chercher à le dépasser. Je ne peux pas vous donner plus de détails, car c’est à vous qu’il revient de choisir votre propre voie : la voie de l’action ? Du détachement ? De la libération ? De la contemplation ? C’est à vous de dépasser votre « simple vie » par la voie et par les méthodes qui vous sembleront les plus adéquates à votre état intérieur actuel. Mais quoi que vous fassiez et quel que soit votre chemin, je vous supplie de prêter attention aux films et aux séries que vous regardez. « Bref » a pour effet et pour objet de vous démoraliser, de vous maintenir en prison. Ne regardez pas cette série.