Un des plus intéressants aspects de la manifestation cyclique est constitué par la grande migration hyperboréenne. Elle est une « descente », de l’indistinction polaire primordiale dans les multiples manifestations secondaires du cycle. Pourtant, ce n’est pas du point de vue historique profane que cette manifestation nous intéresse, mais de celui du symbolisme historique, « signature » de réalités incomparablement plus profondes.
Le symbolisme de cette migration se rattache en somme à la manifestation de Prakriti : indistinction polaire originelle, rupture de l’équilibre des trois gunas, imposée par les nécessités de la manifestation des possibilités totales du cycle ; descente « tamasique » interrompue parfois par des étapes et des projections « rajasiques » à droite et à gauche sur divers plans de la possibilité universelle ; symbolisme crucial évident et, disons-le, fatal,
On peut concevoir d’après cela, que la migration hyperboréenne n’a rien d’une émigration ; qu’on n’y trouve rien d’improvisé, de hasardé, de gratuit, de précipité. Il faut nous arracher à tous les préjugés modernes pour nous bien représenter cette migration sacrée, avec ses sacerdotes-rois, transportant d’étape en étape, sans aucune improvisation, et selon une précise science géographique, ses « pénates », ses tabernacles, ses supports spirituels. Nous devons insister sur un point capital, sur lequel se base toute notre étude : ces étapes (qui duraient des millénaires) devaient avoir des « vertus » spéciales, des vertus « analogues » à celles des étapes précédentes et de la Contrée primordiale. C’est là une vérité fondamentale qu’il ne faut jamais perdre de vue. En d’autres termes, les montagnes, les eaux, les lieux géographiques, leurs noms, les centres, les supports spirituels d’une étape avaient des vertus analogues à celles des étapes précédentes, Si, par exemple, il y avait de nouvelles Tula, de nouvelles Iles Blanches, ce n’est pas du tout, faut-il le dire, à la manière des Nouvelle-Orléans et des New-York ! Mais la géographie sacrée est de toutes les sciences traditionnelles, la plus oubliée en Occident.
Il se trouve que nous connaissons les deux extrêmes de la descente « tamasique » de la migration hyperboréenne : le Pôle et la Grèce pélasgique ; l’itinéraire de la migration est la verticale Nord-Sud qui relie ces deux points. Comme nous l’avons dit, il y eut plusieurs étapes du centre suprême hyperboréen et des projections « rajasiques » à droite et à gauche, et ce centre devait nécessairement se trouver au point quintessentiel de cette configuration cruciale qui eut autant de branches horizontales que d’étapes du centre suprême sur les différents plans de l’existence cyclique.
Si nous regardons une carte, nous constatons que les dates historiques confirment ce raisonnement. Ainsi par exemple, Camille Jullian admet l’existence d’un état occupant les bords de la mer Baltique, constitué par ceux qui furent plus tard les Celtes. Or, la Mer Baltique se trouve sur la verticale désignée par nous. Nous constatons aussi que cette verticale passe aussi par la Dacie (la Roumanie actuelle). Les renseignements sont beaucoup plus nombreux sur cette contrée.
Un examen quelque peu attentif des écrivains antiques nous montre l’existence, au Nord de la Grèce, sur les bords du Danube et de la Mer Noire, d’une grande race unifiée comme langue, mœurs et traditions, quoique politiquement divisée. C’est la race geto-thrace.
Hérodote affirme que les Thraces étaient le plus grand peuple du monde après les Indiens ; cela serait incompréhensible si nous entendions par Thraces seulement les anciens habitants de la Bulgarie actuelle ; en réalité Hérodote englobait sous ce nom tous les autres peuples de la même race, c’est-à-dire les Thraces proprement dits, les Dalmates, les Pannoniens, les Illyriens, les Gètes, les Daces, les Agathyrses, les Sarmates, les Scythes, les Arimaspes, etc. (il y a bien une cinquantaine de noms). Tous appartenaient à la grande race géto-thrace. Strabon écrit que les Gètes (habitant au nord du Bas-Danube et dans l’Ukraine actuelle) avaient la même langue que les Thraces, et Pline dit que les Daces et les Thraces sont un même peuple. D’ailleurs les écrivains antiques usent indifféremment des noms que nous avons cités quand ils parlent des peuples du nord de la Grèce. Tous ces peuples habitaient le territoire occupé aujourd’hui par la Bulgarie, la Yougoslavie, l’Albanie, la Hongrie, la Roumanie, l’Ukraine et la Russie méridionale jusqu’à la Volga. L’affirmation d’Hérodote devient ainsi compréhensible.
Il s’est passé ce fait très curieux : dans toutes ces contrées le vieil élément gétique a été anéanti par les invasions barbares ; les conquérants n’ont pas été absorbés comme les Germains en Gaule. Nous avons aujourd’hui des Bulgares, des Yougoslaves, des Hongrois, des Russes qui n’ont aucun rapport avec l’ancienne race autochtone et n’en ont rien hérité ; seule la Roumanie, la plus tardive conquête de Rome (Trajan, 106), a gardé une langue 70% latine, avec la prédominance raciale dacique, quoique puissamment imprégnée d’éléments slaves dans les plaines. La meilleure preuve, c’est qu’il reste encore en Epire, en Macédoine et en Dalmatie quelques épaves des tribus thraces, et qui parlent le roumain. Comme il n’a jamais existé de colonisation roumaine en ces lieux, le fait ne peut être expliqué que d’une unique façon : ces tribus et les Roumains sont les derniers représentants de la race autochtone des Geto-thraces, l’identité de langue s’expliquant par la communauté raciale.
Or tous les anciens sont unanimes à affirmer que les Gètes étaient un peuple hyperboréen.
Pindare qui est le poète le plus érudit de la Grèce nous montre Apollon, après avoir bâti avec Neptune et Eaque les murs de Troie, retournant dans sa patrie de l’Hister (le bas-Danube), chez les Hyperboréens.
Strabon est catégorique : « Les premiers qui ont décrit les diverses parties du monde, disent que les Hyperboréens habitaient au-dessus du Pont-Euxin (la Mer Noire) et de l’Hister ».
Clément d’Alexandrie est aussi précis : il appelle le prophète des Daces, Zalmoxis, Hyperboréen.
Une des villes principales de la Dacie, d’après le géographe Ptolémée, était située sur l’Hiérasus (aujourd’hui Sereth, fleuve de Moldavie) et s’appelait Piribori-dava (dava signifie ville, place), nom qui indique une cité hyperboréenne.
Macrobe est aussi précis que possible : « Les régions arrosées par le Don et le bas-Danube, que l’antiquité appelait hyperboréens. » Est-ce clair ?
Apollonius de Rhodes, dans ses Argonautiques, dit que les Hyperboréens sont des Pélasges habitant au Nord de la Thrace.
De nombreux auteurs parlent des monts Riphées des contrées hyperboréennes. Or, les Carpathes furent appelés dans l’antiquité « Montes Riphaeï ».
Pline l’Ancien parle du peuple des Arimphaeï qui habitait près des Monts Riphées.
On sait que les anciens entendaient par axis boreus, cardines mundi, le Pôle spirituel du monde.
Ovide qui fut exilé par Auguste à Tomi (aujourd’hui Constantsa, port de Roumanie) se plaint d’être contraint à passer sa vie sous l’axe boréal, à gauche du Pont-Euxin (Mer Noire).
Et dans une autre lettre, adressée à son ami Macer de Rome il dit qu’il se trouve sous les Cardines Mundi mêmes, et qu’il parle en imagination avec son ami, sous l’axe boréal dans le pays des Gètes.
Et Martial, dans une de ses plus belles épigrammes, adressée au soldat Marcellin qui partait en expédition en Dacie, appelle le Pôle, « geticus Polus ».
« Soldat Marcellin, tu pars maintenant pour prendre sur tes épaules Le Ciel hyperboréen et les astres du Pôle gétique ».
Dire geticus polus, n’est-ce pas indiquer très clairement, qu’à un moment donné le « Pôle » fut chez les Gètes ? Et geticus n’est pas une figure poétique pour indiquer l’éloignement, car les Romains connaissaient bien l’existence, au nord des Gètes, d’autres peuples plus éloignés encore : les Venedae, les Aestii, les Gantae, les Sucones, habitant la Pologne et la Scandinavie.
Le même Martial appelle le triomphe de Domitien sur les Daces Hyperboreus triumphus et ailleurs Gigantes triumphus, et enfin :
« Trois fois il passa les cornes perfides de l’Hister sarmatique ; trois fois, il baigna son cheval dans la neige des Gètes ; toujours modeste, il a refusé les triomphes qu’il méritait et n’a apporté avec soi que le renom d’avoir vaincu le monde des Hyperboréens ».
Et Claudien appelle le Pôle geticus plaustrus.
Nous terminons ces citations par deux passages de Virgile qui en véritable initié (comme Ovide d’ailleurs) savait ce qu’il en était : « Solitaire, il parcourait les glaces hyperboréennes et le Don couvert de glaces, et les champs jamais exempts de neige, autour des monts Riphéens » (Carpathes), jusqu’à ce « que les femmes thraces, irritées de ses mépris, le déchirèrent », etc.
Si Virgile avait écrit : Orphée parcourait les glaces hyperboréennes, les neiges de la Seine et les champs autour des Monts des Arvernes, jusqu’à ce que les femmes gauloises irritées de ses mépris… ; il y aurait bien des chances pour que les Hyperboréens aient habité la Gaule.
Et l’indication plus précise du Pôle représenté par un Omphalos.
Or, nous verrons que ce « vertex », ce Polus geticus, cette « représentation » du Pôle, existe en Roumanie dans les Carpathes (Monts Riphéens), sur le Mont « Om », et qu’il est encore appelé par le peuple l’ « Essieu du Monde », le « Nombril de la Terre ». Il faut le dire encore : il ne s’agit pas de l’Hyperborée primitive qui fut strictement polaire, mais d’une de ses principales étapes. En d’autres mots, le Dacie a été pendant quelques millénaires le « centre suprême » de l’Hyperborée (et par conséquent du monde) en migration vers le Sud, et avant le déplacement du centre vers l’Orient. IL nous reste maintenant à montrer avec plus de précision les « analogies » de l’Hyperborée dacique avec l’Hyperborée première. Car analogie n’est pas coïncidence, mais identité de « vertus », et c’est là tout ce qui importe :
Comme nous aurons à mettre à contribution le soi-disant « folklore », il nous faut d’abord tirer au clair son importance et sa signification. Nous citons ces lignes particulièrement significatives de M. René Guénon sur le Saint-Graal :
« La conception même du folklore, telle qu’on l’entend habituellement, repose sur une idée radicalement fausse, l’idée qu’il y a des « créations populaires », produits spontanés de la masse du peuple ; et l’on voit tout de suite le rapport étroit de cette façon de voir avec les préjugés démocratiques ». Comme on l’a dit très justement, « l’intérêt profond de toutes les traditions dites populaires, réside surtout dans le fait qu’elles ne sont pas populaires d’origine » ; et nous ajouterons que, s’il s’agit, comme c’est presque toujours le cas, d’éléments traditionnels, au vrai sens de ce mot, si déformés, amoindris ou fragmentaires qu’ils puissent être parfois, et de choses ayant une valeur symbolique réelle, tout cela, bien loin d’être d’origine populaire n’est même pas d’origine humaine. Ce qui peut être populaire, est uniquement le fait de la « survivance », quand ces éléments appartiennent à des formes traditionnelles disparues… Le peuple conserve ainsi, sans les comprendre, des débris de traditions anciennes, remontant même parfois à un passé si lointain qu’il serait impossible de le déterminer, et qu’on se contente de rapporter, pour celte raison, au domaine obscur de la « préhistoire » ; il remplit en cela la fonction d’une sorte de mémoire collective plus ou moins « subconsciente », dont le contenu est manifestement venu d’ailleurs. Ce qui peut sembler le plus étonnant, c’est que lorsqu’on va au fond des choses, on constate que ce qui est ainsi conservé contient surtout, sous une forme plus ou moins voilée, une somme considérable de données d’ordre ésotérique, c’est-à-dire précisément, tout ce qu’il y a de moins populaire par essence ; et ce fait suggère de lui-même une explication que nous nous bornerons à indiquer en quelques mots. Lorsqu’une forme traditionnelle est sur le point de s’éteindre, ses derniers représentants peuvent fort bien confier volontairement, à cette mémoire collective dont nous venons de parler, ce qui autrement se perdrait sans retour ; c’est en somme le seul moyen de sauver ce qui peut l’être dans une certaine mesure ; et, en même temps, l’incompréhension naturelle de la masse est une suffisante garantie que ce qui possédait un caractère ésotérique n’en sera pas dépouillé pour cela, mais demeurera seulement, comme une sorte de témoignage du passé, pour ceux qui, en d’autres temps, seront capables de le comprendre ».
Ces remarques capitales doivent être comme en filigrane pendant le reste de notre étude, car elles dominent tout le problème et en donnent la clef.
Ce qu’on sait sur l’Hyperborée première peut tenir en peu de phrases. La principale source d’information se trouve chez Hécatée d’Abdère, cité par Diodore de Sicile : « Vis-à-vis de la contrée des Celtes, dans les parties de l’Océan, il y a une île appelée Leuky, c’est-à-dire Blanche. Latone, mère d’Apollon y naquit, et à cause de cela, Apollon y est vénéré plus que les autres Dieux (Apollon s’appelait aussi Apollon Leukos, Leukios, Leukaios). Parce que les Hyperboréens de l’Ile Blanche célèbrent ce Dieu chaque jour et lui rendent les plus grands hommages, on dit que ces hommes sont les prêtres d’Apollon. Il y a dans cette île un temple d’Apollon. Les habitants sont en grande partie des cytarrhèdes. De cette île on peut voir la Lune, peu éloignée. Les souverains sont les Boréades, descendants de Borée. On appelait aussi cette île Helixea (Felicia) où l’ile des Bienheureux. Non loin de là étaient les Monts Riphéens. Homère parle des « portes de fer » qui se trouvent près de l’Okeanos potamos.
Avant d’aller plus loin, il faut dire quelques mots sur la géographie de la Dacie. Cette géographie est dominée par un fait central : le plateau de Transylvanie, encerclé par les chaînes des Carpathes et des Monts de l’Ouest, les plus sauvages et les plus impénétrables de l’Europe. Autour de ce formidable château-fort naturel, sont les vastes plaines du Dniester, de la Theiss et du Danube. Ces fleuves sont en même temps les frontières naturelles de la Dacie et lui donnent une forme presque ronde. Le Danube pénètre en Roumanie par les « portes de fer » des Carpathes… Depuis le Rhin et les Alpes, jusqu’à la muraille de Chine, l’indéfini règne en maitre : des terrains vagues, des contrées qui commencent on ne sait où et finissent on ne sait où. Dans cet océan de possibilités, la Dacie est le seul pays caractéristique, défini, formant une unité géographique.
Nous avons déjà vu deux analogies : les Riphées polaires et les Riphées carpathiques, les « portes de fer » polaires et les « portes de fer » danubiennes. Ce fleuve se jette dans la Mer Noire par un Delta à trois bras. Strabon désigne la Mer Noire comme un « nouvel Océan » ; autre analogie : le bras central du Delta s’appelait le « Boreostomon ». Et dans Apollonius de Rhodes l’Hister est le golfe de l’Océan.
Hécatée d’Abdère avait parlé d’une Ile Blanche où il y avait un temple d’Apollon.
Or, juste en face du Delta danubien il y a la petite « Ile des Serpents » ; dans l’antiquité elle s’appelait Leuky, Blanche. Sur cette île Blanche se trouvent les ruines d’un grand temple d’Apollon. En 1823, une expédition russe enleva tout ce qui restait du temple. Voilà une partie du Mémoire de Kôbler à l’Académie de Saint-Pétersbourg : « Les murs ont encore une hauteur de 1 m. 66. La construction est carrée, ayant 29 m. 76 de chaque côté. Le temple a été construit avec de très grands blocs d’une pierre calcaire ordinaire de couleur blanche, rudement taillés et placés les uns sur les autres sans mortier. Le Temple d’Apollon de l’Ile Leuké et les édifices que je viens de citer sont d’une antiquité très reculée et d’un genre que l’on comprend sous la dénomination d’architecture cyclopéenne. On est frappé par la grandeur de cet édifice. Dans l’antiquité il était orné richement de marbre blanc… Cette île portait dans l’antiquité le non de Leuké ou île Blanche, non pas à cause de la blancheur de ses bords escarpés, mais à cause de la blancheur de ses édifices. D’après le rite ancien, selon Pausanias, tous les temples d’Apollon étaient construits en pierre blanche ».
D’ailleurs toutes les localités autour de l’île Blanche portent des noms similaires, Olbiopolis, l’ile Apollonia, la moderne « Cetatea Alba » (la Cité Blanche) près du Dniester, Bolgrad (la ville blanche). On sait aussi que la mer qui entourait l’île de Tula s’appelait Mare Cronium ; or la Mer « Noire », renfermant l’ile Blanche, germe d’or, est aussi une mer saturnienne par excellence.
Hécatée d’Abdère écrit encore que de l’« Ile Blanche » des Hyperboréens, on voit la Lune (Seirvr), qui en est peu éloignée.. En face de l’Ile Blanche de la Mer Noire, sur le bras central du Delta danubien (le Boreostoma), il y a le port de Sulina qui s’appela de tous temps Selina, comme le peuple le prononce encore, comme il se trouve désigné dans le De administratione Imperit de Constantin Porphyrogénète et dans le périple catalan de 1375.
La mère d’Apollon et de Diane (Séléné) est Leto, en dialecte populaire pélasge Lete. La lagune entre les bras supérieur et central du Delta s’appelle Letea (cet ea est une déformation très courante dans la langue roumaine : par exemple Mantw est devenu Manea; Tovis, Tovea ; Corbus, Corbea ; Vulcanus, Valcea).
Un peu plus haut que le point où le Danube se divise en trois bras, sur le manche du Trident, il y a le port de Tulcea. À propos de ce nom, nous avons à observer ceci : que l’e intercalé devant l’a, l’est par le même phénomène linguistique dont nous avons parlé quelques lignes plus haut ; quant à c, il est une forme adjective commune dans le roumain vulgaire et dont l’origine est slave (par exemple une Russe se dit en roumain Rusa ; en roumain vulgaire, Rusca ; de même Ebrea, Evreica ; Franceza, Frantsousca).
Eliminons donc, comme surajoutés l’e et le c, et il reste en toutes lettres TULA.
Serrons maintenant la question de plus près et cherchons les sources les plus précieuses, à notre point de vue, dans le soi-disant folklore roumain.
Il y a en Roumanie un genre spécial d’incantations, les Kolinde. Ce mot n’est autre que « Kalendae ». A Noël, au Nouvel An, à la Saint-Jean, les enfants se rassemblent par groupes, et vont de maison en maison pour annoncer la Bonne Nouvelle. C’est ce qui se faisait chez les Romains aux calendes de janvier pendant les Saturnalia et les fêtes de Janus. Le sujet est un épisode sacré qui n’a de chrétien que les noms des personnages ; quelquefois on mime un drame sacré où se trouvent, par exemple, parmi d’autres, les trois juges de l’Enfer. Ces Kolinde ne sont pas, bien entendu, latines, mais remontent à la source commune proto-pélasge, dans une antiquité abyssale ; elles sont ce qu’il y a de plus mystérieux dans la poésie populaire roumaine.
Or, toutes les Kolinde commencent par l’évocation d’un « Grand Monastère Blanc » qui se trouve dans une Ile ; le « Grand Monastère Blanc aux neuf autels », « le Grand et Saint Monastère Blanc qui se trouve dans une Ile de la Mer Noire ». Le lieu est donc désigné avec toute la précision désirable.
« Le Monastère Blanc est comme un Soleil. Près du Monastère, il y a un lac d’huile sainte et un ruisseau de vin où se baignent et se sanctifient le Bon Dieu et le Vieux Noël. Le sentier qui va du rivage au Monastère est la Voie Sacrée ».
Après l’Office « qui est très long », arrivent sur la Mer « dans une Arche », le « Saint Dieu » et les « autres Saints » ; ils s’assoient dans des « étés d’or ». Parfois le Temple est nommé « Le Monastère des Seigneurs ».
Donnons leurs vrais noms à ces personnages.
Le Bon Dieu, Jion, Alion, c’est Apollon.
Le Vieux Noël, Saturnus Senex ; en roumain, le Vieux Craciun ; ce mot vient de creatione donc le Vieux Noël est aussi le Cycle.
La Mère Sainte, Latone.
Sainte Marie la Grande, Gaia.
Sainte Marie la Petite, Zana, Diana, Luna.
Jean-Saint-Jean, Janus. Les deux aspects de Janus sont admirablement indiqués. Même le troisième aspect, occulte et synthétique est très clairement désigné par le « Saint » posé entre les deux « Jean » (« Ion-Sant-Ion »).
Siva-Vasilea, Ops Consiva, divinité des récoltes.
Apollon est y quelquefois appelé « Le Bon Dieu Fils ». C’est le même que le Bonus Deus Puer, ou Bonus puer bhosphorus, épithètes d’Apollon dans les innombrables inscriptions consacrées à ce Dieu et trouvées en Dacie, surtout dans la ville d’Apulum, capitale de la province du même nom (Dacia Apulensis), appelée ainsi d’après le Dieu.
Dans quelques Kolinde le Bon Dieu apparaît comme Pasteur, avec une flûte et des boucles d’or.
Est-il assez clair maintenant qu’il s’agit d’autre chose que de Mythes chrétiens ?
Voici encore une autre légende qui se rapporte au Soleil et à l’Ile Blanche : le puissant Soleil voulait se marier ; il chercha dans le Ciel et dans la Terre, dans le Monde et les Etoiles, pendant 9 ans et sur 9 chevaux, mais ne trouva pas une fée comme il lui fallait ; il y en avait une, sa propre sœur Tana Cossinzeana. Il lui demande d’être sa « blanche épouse ». Tana habite près de la Mer Noire, là où est le port de Sulina. Elle tisse sur un métier d’argent.
« Soleil, quand a-t-on jamais vu le Frère épouser la Sœur ? ».
Mais sous la chaleur de « Midi », le « Pont » de cire fond ; le Soleil et Zana tombent dans la Mer et se « noient ». Est-il besoin de commenter ce symbolisme si clair ? La Mer Noire s’appelait dans l’antiquité le Pontus…
Que l’on relise ces légendes, que l’on regarde de nouveau la carte, avec cette mer Noire (Pontus) saturnienne, cachant dans son sein l’Ile Blanche, située vis-à-vis de Selina, avec, au nord, la Cetatea Alba, la solaire Cité Blanche et un peu plus au Sud la lunaire Selina, appelées couramment en Roumanie les « clefs de la Mer Noire » (les clefs d’or et d’argent des Pouvoirs sacerdotal et royal, des Grands et Petits Mystères, les Clefs de Janus, de Jean-Saint-Jean) ; que l’on regarde la lagune Lelea, le Trident du Danube, avec, sur le manche « dans l’indistinction », Tula ; que l’on fasse cette observation capitale et levant les dernières hésitations, que tout cela est placé très exactement sur le 45° latitude, c’est-à-dire rigoureusement à la moitié de la distance entre le Pôle et l’Équateur et l’on pourra dire en paraphrasant Saint Paul « qu’il y a beaucoup de choses à dire, et des choses difficiles à expliquer parce que nous sommes lents à comprendre ». Néanmoins, il paraît bien établi que la Dacie a été le siège du Centre suprême à une date très éloignée.
Géticus. Études Traditionnelles. Le voile d’Isis. Avril 1936.