Physiognomonie Intégrale (2). Introduction à la physiognomonie.

Cet article fait partie du projet « Physiognomonie Intégrale ». 

  


Écoutez les normies, et ils vous tiendront les propos suivants : « il ne faut jamais juger un livre d’après sa couverture », « il ne faut pas juger les gens sur leur apparence », ou une autre variante : « il faut juger les gens d’après ce qu’ils sont intérieurement, et non extérieurement ». Il est clair que c’est une opinion qui vous fait passer pour quelqu’un de bien, quelqu’un de « gentil », parce qu’après tout, personne ne peut rien faire pour modifier sa propre apparence, et parce que l’apparence n’a peut-être rien à voir avec « la personne que nous sommes vraiment au fond de nous-mêmes ». Par ailleurs, si vous faites l’effort de juger les autres d’après ce qu’ils sont intérieurement, au lieu de les juger sur leur apparence, vous faites preuve d’empathie, vous montrez que vous n’êtes pas quelqu’un de superficiel et que vous savez vous intéresser aux autres en profondeur. Bref, c’est mignon, mais ce sont des foutaises totales. 

Ce sont des foutaises parce que, en dépit de tous les avantages sociaux qu’il y a à prétendre que nous ne jugeons pas les autres sur les apparences… nous le faisons presque tout le temps, ne serait-ce qu’inconsciemment.

Les Grecs de l’Antiquité croyaient fermement en la physiognomonie. Selon Aristote, il était possible de déduire le caractère de quelqu’un à partir des traits de son visage, et de nombreux autres érudits grecs étaient du même avis. Michael Scot (1175-1232), mathématicien écossais et érudit à la cour du Saint-Empire romain germanique, avait écrit une thèse savante sur le sujet. Dans les Contes de Canterbury, œuvre de la fin du 14e siècle, l’auteur, Geoffrey Chaucer, écrivait sur le sujet. La physiognomonie était enseignée dans les universités anglaises, jusqu’à ce qu’elle soit interdite par Henri VIII pour avoir été associée à la cartomancie.

Malgré cela, la physiognomonie a continué à être largement acceptée comme un domaine sérieux des connaissances humaines dans les cercles académiques et littéraires. Shakespeare y a souvent eu recours. A titre d’exemple : 

« César. – Que j’aie toujours autour de moi des hommes gras et à la face brillante, des gens qui dorment la nuit. Ce Cassius là-bas a un visage hâve et décharné ; il pense trop. De tels hommes sont dangereux ». (Description de Cassius par Jules César – Shakespeare, « Jules César », acte I, scène II). 

Le médecin Thomas Browne (1605-1682) a publié sa « Religio Medici » en 1643, dans laquelle il observe « qu’il existe certainement une physionomie que les hommes expérimentés peuvent étudier… Car il y a mystiquement dans nos visages certains caractères qui portent en eux la devise de nos âmes, où l’on peut lire nos natures ».

La physiognomonie est peu à peu tombée en discrédit au fil des décennies, mais elle a ensuite été repopularisée par l’érudit suisse Johan Kaspar Lavater (1741-1801). Jusqu’à Lavater, on pensait qu’il existait un certain nombre de « types généraux » de personnes, la physiognomonie permettant de discerner le type d’une personne : colérique (caractériel), flegmatique (calme), « mercurien » (changeant et imprévisible) ou sanguin (optimiste). 

Lavater a développé cette idée, arguant que la physiognomonie pouvait être utilisée de manière beaucoup plus spécifique – pour discerner les traits de caractère des individus. La physiognomonie a été remise au goût du jour et, au dix-neuvième siècle, elle était utilisée de manière implicite dans de nombreux romans (Meilleur exemple : « Le portrait de Dorian Gray », 1890, Oscal Wilde). Dorian veut conserver sa beauté tout en menant une vie amorale et hédoniste. Il vend donc son âme en échange du pouvoir de conserver son corps intact, et en contrepartie, l’usure du temps se manifeste sur son portrait, plutôt que sur son visage et sur son corps. Dorian reste jeune et beau, alors que le portrait de lui devient de plus en plus hideux. 

Dans de nombreux autres romans victoriens, les bons personnages sont physiquement attirants, tandis que les mauvais personnages sont laids et difformes. L’apparence était, une fois de plus, un raccourci littéraire pour décrire le caractère. Même encore aujourd’hui, ce raccourci entre le physique d’une personne et son caractère est énormément utilisé au cinéma et dans les séries. 

Statisticien, sociologue, proto-généticien, inventeur, météorologue, géographe et même explorateur, l’anglais Sir Francis Galton (1822-1911) était un homme complet, intelligent, cultivé, et surtout, curieux. S’il y avait une croyance qui restait à prouver ou à réfuter scientifiquement, Galton était attiré par sa démonstration ou sa réfutation. La physiognomonie le fascinait donc. En 1878, il publie un article dans la revue « Nature » dans lequel il présente ses découvertes. Il a mis au point un système de photographies dans lequel il a superposé une variété de visages à l’aide d’expositions multiples. Cela lui a permis de créer des représentations photographiques de personnes présentant certaines qualités, telles que la beauté, la criminalité ou la maladie. Il en est résulté des photographies distinctes, ce qui implique, par exemple, que les criminels ont, dans une certaine mesure, des visages différents de ceux du reste de la population.

Malheureusement, la physiognomonie a été associée – et l’est peut-être encore – à la phrénologie. Lancée par le scientifique allemand Franz Josef Gall (1758-1828), la phrénologie est la croyance selon laquelle la nature du caractère d’une personne peut être discernée par de petites différences dans la forme de son crâne. Le cerveau étant un organe dont les différentes parties ont des fonctions différentes, il semblait logique que les bosses ou les creux du crâne reflètent des propriétés similaires du cerveau. La phrénologie est devenue extrêmement populaire à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, avec la création de sociétés savantes de phrénologie, dont une à Edimbourg. « L’Edinburgh Phrenological Society » a été fondée par l’avocat écossais George Combe (1788-1858) qui affirmait que « le cerveau est l’organe de l’esprit ; que le cerveau est un agrégat de plusieurs parties, chacune servant une faculté mentale distincte ; et que la taille de l’organe cérébral est, caeteris paribus, un indice de la puissance ou de l’énergie de la fonction ». Sans surprise, la phrénologie a été démentie. La physiognomonie s’est trouvée (intellectuellement) coupable par association… Mais est-elle vraiment morte pour autant ?