Je viens de regarder une vidéo YouTube qui m’a profondément choqué. Et je pèse mes mots : je suis véritablement offensé, scandalisé, atterré. Cela faisait bien longtemps qu’une vidéo ne m’avais pas fait un tel effet désagréable. Cette vidéo, la voici : « Ce gros méchant facho avait-il raison ? » du Youtubeur « Le Hussard ».
Cette vidéo est absolument révoltante, à bien des égards. Il s’agit d’une sorte de « présentation » de la vie et de la pensée de Julius Evola. (Je n’ose pas écrire le mot « analyse », car la façon dont ce youtubeur traite son sujet est beaucoup trop simpliste, élémentaire, niais, réducteur, sommaire et grossier).
La forme est catastrophique. Le montage est rapide et entrecoupé toutes les 30 secondes par des memes et des blagues. On a l’impression que ce Youtubeur s’adresse presqu’exclusivement à un public composé de Zoomer qui ont une capacité de concentration de 14 secondes et qui sont manifestement incapables de se focaliser durablement sur une idée sans avoir besoin d’être visuellement stimulé ou diverti par une vanne ou un meme vulgaire ou insipide.
La vie et l’œuvre d’Evola sont présentés de manières extrêmement simplistes. Mais cela n’est pas le plus choquant : la vidéo fait environ 16 minutes et il n’est pas humainement possible d’être exhaustif sur la vie et l’œuvre d’Evola en un temps si court. Ce qui est choquant, c’est le style : on a l’impression qu’à CHAQUE phrase, ce Youtubeur cherche à faire une « punchline ». C’est un style que l’on trouve de plus en plus souvent parmi les youtubeurs, et cela devient pénible au-delà de toute mesure. Une « punchline » est en principe une phrase FINALE, percutante et mémorable d’une séquence ou d’un échange. Elle est conçue pour provoquer un effet immédiat et fort sur l’auditoire. Une bonne punchline doit frapper l’auditeur, souvent avec humour, agressivité, surprise, ou une révélation inattendue. Elle est concise, facile à retenir et souvent formulée de manière ingénieuse (jeu de mots, métaphore, hyperbole). La punchline correspond à la partie d’une séquence ou d’un échange que l’on va citer, dont on va se souvenir. La punchline arrive généralement à la fin d’une accumulation d’idées ou d’un « setup » (préparation) pour délivrer le point culminant, dans le but de générer une réaction (émotionnelle). Bref, une punchline peut être littéralement toute phrase, tant qu’elle est bien trouvée, et bien placée, et qu’elle permet de cloturer une séquence avec éclat. L’objectif est clair : obtenir une réaction, des partages ou des « likes ».
Et ce procédé, utilisé à l’excès dans cette vidéo du Hussard, se retrouve désormais partout sur Youtube : setup + punchline = réaction.
Est-ce un « mal » ? Absolument pas, tant que ce procédé est utilisé avec modération et subtilité. Mais ici, dans cette vidéo consacrée à Evola, nous atteignons des surplus, des dépassements, des exagérations qui rend tout indigeste et inompréhensible. Composer un texte ou une vidéo ou une publication uniquement à partir de punchlines est la recette idéale pour créer un désastre rhétorique. C’est l’erreur que commettent ceux qui pensent que l’impact suffit, et qu’on peut se passer de fond tant que la forme est là (ce qui fonctionne extrêmement bien, tant ce Youtubeur a d’abonnés). Cela « parait » cool, mais cela équivaut surtout à confondre esprit vif et esprit agité. Un Youtubeur qui a l’intention de bombarder son auditoire de phrases chocs sans transition ni substance ne produit pas de l’impact, mais de la saturation. Il n’y a qu’à voir cette vidéo : elle vous rend fou au bout de 10 secondes. Une punchline est normalement définie par son contraste avec le reste du discours. Si chaque phrase est une « chute », rien ne sert de rampe de lancement. L’éclat de la première phrase est immédiatement annulé par l’éclat de la deuxième, et ainsi de suite. Au bout de la dixième ou quinzième phrase, le spectateur ne retient plus rien, la punchline devenant non pas la forme du « discours », mais le discours lui-même : la punchline est le nouveau « bruit de fond ». Contrairement à ce que l’on peut croire, le sujet de cette vidéo n’est pas Julius Evola, mais le Hussard en tant qu’il montre à ses spectateurs ce qu’il arrive à trouver comme punchline SUR Julius Evola (et ce sont deux sujets de vidéo totalement différends). Ici, la vidéo alterne trop rapidement entre setup et punchline (voir même… entre punchline et punchline suivante) pour que le spectateur puisse découvrir la vie et l’œuvre d’Evola.
Et cette façon de faire des vidéos entraine nécessairement le problème suivant, à savoir que cette vidéo est en réalité… vide. Il n’y a littéralement pas de « contenu » dans ces 16 minutes. L’obsession de l’impact tue la transmission d’idées. Une punchline, par nature, est une conclusion percutante. Si une vidéo n’est qu’une succession de conclusions, il n’y a plus de prémisses, plus d’arguments, plus de développement, plus de raisonnement, plus de présentation, plus de discussions, il n’y a… plus rien. Encore une fois, cette vidéo n’est pas une vidéo relative à Julius Evola, mais une vidéo relative à la façon dont Le Hussard s’amuse à « punchliner » sur Julius Evola. La forme est hypertrophiée, le fond est anémié. La vidéo devient un exercice narcissique de style, démontrant que le Youtubeur est obsédé par sa propre ingéniosité au lieu d’être au service de son sujet. Ici, on n’apprend rien sur Evola : on parcoure à toute vitesse quelques éléments biographiques placés ici UNIQUEMENT comme setup à la prochaine punchline, puis on passe à toute vitesse sur quelques éléments de l’œuvre d’Evola placés également comme setup à la prochaine punchline. Mais concrètement, Le Hussard n’a rien « dit ». C’est-à-dire, il n’a pas « fait connaître », il n’a pas « fait sens ». Il a « fait forme », mais il n’a pas « fait fond ».
Le lecteur qui me connaît bien sait que je suis un fervent discipline et admirateur de l’œuvre de Julius Evola, et qu’ainsi, je ne suis pas objectif dans ma critique de cette vidéo. C’est un argument recevable : en tant qu’évolien, je n’aime pas les critiques du « Maître ». Toutefois, je tiens à noter ici qu’il ne s’agit même pas d’une critique d’Evola. Cette vidéo n’est pas une vidéo « contre » ou « pour » Evola, ce n’est même pas une vidéo « sur » Evola : c’est une vidéo qui a pris Evola comme « prétexte » à l’application de la formule « setup + punchline = réaction ». Je serai ravi de regarder une critique d’Evola… si seulement il y en avait une !
Au-delà du cas particulier de cette vidéo, qui n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, c’est de l’ensemble des Youtubeurs qu’il faut maintenant parler. Cette tendance à la « punchlinisation » des vidéos Youtube, je la vois de plus en plus, en particulier chez les youtubeurs français. Le youtubeur moderne ne fait plus des vidéos, il fait des enchainements de phrase-choc. C’est clairement efficace pour capter l’attention à court terme, mais cela engendre une conséquence désastreuse : presque plus aucun youtubeur ne produit de fond. C’est le paradoxe de ces créateurs de contenus qui produisent massivement, alors qu’ils ne disent rien. Une vidéo composée uniquement de phrases fortes manque d’arguments intermédiaires et de transitions logiques. La structure devient une suite de déclarations déconnectées, rendant le développement d’une idée complexe ou nuancée pratiquement impossible. Le discours gagne en densité apparente, mais perd en profondeur analytique, à l’image de cette vidéo qui réussit l’exploit de ne rien dire sur Julius Evola alors même qu’il est censé être le sujet central.