« La Race se meurt » : Julius Evola sur le déclin démographique européen.

Julius Evola aborde le problème du déclin démographique européen dans le numéro 3 de « La Torre » (la revue La Torre a été publiée entre février et juin 1930).

Un article paru récemment dans « Il Popolo di Roma » sous le titre « La race italienne est-elle en train de mourir ? » a relancé le débat sur certains problèmes « démographiques » qui touchent aujourd’hui de près de nombreux Italiens. L’article affirmait que le phénomène général de baisse des naissances et d’augmentation des décès s’étendait également à l’Italie.

« En Italie, comme en France, comme en Allemagne, comme dans tout l’Occident – protestant ou catholique –, on peut affirmer froidement, mathématiquement, que la race va vers la mort, malgré les apparences contraires… En Italie aussi, l’élan vital est brisé, l’Italie aussi est sur la voie de la décadence. »

La responsabilité de cette situation est attribuée à la ville :

« C’est la ville qui rend les hommes stériles ; c’est la ville qui semble frappée par cette manie suicidaire. »

Et l’écrivain pose les questions suivantes :

« Verrons-nous aussi l’éléphantiasis des villes et le désert des campagnes ? Saurons-nous ou ne saurons-nous pas résister à la tendance – monstrueusement suicidaire – de la civilisation dite occidentale ? Le fascisme remontera-t-il le courant ou se laissera-t-il submerger ?… Des questions effrayantes, terribles, auxquelles sont liés la vitalité et l’avenir de la race : l’indépendance politique et économique de la nation. »

Il est inutile de rappeler l’intérêt qui, sur des bases analogues, avait déjà été suscité par la « campagne démographique », en référence à des aphorismes tels que : « Le nombre fait la force » ou « Qui n’est pas père n’est pas un homme ». Or, comme il est très facile de tomber dans des absurdités dans tout cela – et les exemples ne manquent pas –, il ne nous semble pas inutile de faire quelques considérations d’un point de vue qui ne soit pas simplement politique et matérialiste.

Il faut tout d’abord voir ce que l’on entend par destin d’une race ou d’une nation, et quelle est la portée de ce « pouvoir » qui consiste en de simples « nombres ». Ici, comme dans d’autres questions, il nous semble qu’il serait aujourd’hui opportun d’accorder beaucoup plus d’importance au point de vue de la spiritualité et de la qualité que ce n’est généralement le cas. En termes absolus, le destin, la tradition et la puissance d’une nation ne doivent pas être confondus avec les vicissitudes de sa prospérité temporelle et de sa fécondité en termes de simple matière humaine. Trop souvent, nous avons vu une race matériellement plus forte et triomphante réduite à un simple instrument de diffusion et d’affirmation de l’esprit et de la tradition d’une autre race : l’exemple de la Grèce et de Rome est trop banal pour qu’il soit nécessaire de le rappeler ; mais, au-delà, on pourrait citer le cas du peuple d’Israël, et ne voyons-nous pas aujourd’hui en Amérique un étrange creuset qui a absorbé et, après deux générations, a réduit à un type unique et propre une majorité numérique débordante alimentée par l’immigration des races les plus diverses ?

Le véritable problème ne nous semble donc pas être un problème de quantité, mais plutôt de qualité. Il s’agit avant tout de créer ou de défendre quelque chose qui constitue un ferment, une graine génératrice, à l’action de laquelle même les forces matériellement, numériquement, politiquement plus fortes qui pourraient finir par prendre le dessus, sans toutefois posséder en elles-mêmes quoi que ce soit d’équivalent, ne sauraient résister : ces forces seraient réduites à ne fournir qu’un corps plus vaste à cette âme, à cette « culture ». Tout cela peut ne pas paraître clair à ceux qui confondent l’existence et l’autonomie de l’esprit d’une nation avec celles, toujours contingentes, de son corps (indépendance politique, économique, militaire, etc.) : mais cela ne peut pas faire que le point juste, le point essentiel, soit différent. Mais alors, qui ne voit pas tout ce qu’il y a à dire, et qui n’est pas dit, sur la « campagne démographique » ? Qu’un homme ou une race soit évalué en fonction de son degré de proximité avec le lapin fertile, l’étalon ou le bélier, cela ne nous semble vraiment pas approprié. Il nous semble qu’au lieu de se préoccuper du nombre d’enfants qui naissent, il faudrait se préoccuper beaucoup plus de la qualité des enfants qui naissent ; et qu’à « Le nombre fait la force », il faudrait opposer « La qualité fait la force ».

Ce n’est pas d’une horde d’esclaves, ni d’une simple « quantité » que les émigrations et autres phénomènes similaires disperseront et soumettront à d’autres, mais d’une poignée de chefs et de dominateurs au sens intégral (et donc pas simplement politique) du terme, que nous avons besoin : et pourquoi ne pas dire (à l’opposé du slogan « faire plus d’enfants à tout prix ») que le style spartiate consistant à se débarrasser des mal nés et de tout ce qui porte fatalement la marque de la promiscuité du nombre et de la plèbe, est beaucoup plus conforme à certains principes héroïques qui s’affirment également dans l’Italie fasciste, qu’une « campagne démographique » comprise de manière simpliste ? L’instance eugénique (c’est-à-dire la recherche de conditions pour de meilleures naissances), qui se manifeste dans divers pays, notamment en Amérique, ne saurait non plus suffire : en effet, l’Amérique nous montre une race aussi pleine de vie, de vigueur et de santé physique qu’elle est vide de toute vie et de toute lumière spirituelle : un excellent troupeau d’esclaves pour quiconque, passant par-là, saurait s’en emparer. Le nœud du problème se trouve donc ailleurs : ailleurs se cache ce qui concerne la création et la préservation de cette semence immatérielle et indestructible qui confère une destinée de domination à la race qui en est le centre. Et ici, tout ce qui est extérieur, collectif, social, étatique, ne peut rien faire. Et nous arrivons à la deuxième partie de ce que nous voulions dire.

On dit : « La race est en train de mourir. » Les gens s’en inquiètent. On cherche des antidotes, on tente d’insinuer l’insolence véritablement singulière d’un contrôle et d’un « devoir » social jusque dans les intimités mêmes où s’accomplit le mystère de la génération. On crée des mythes : « la patrie a besoin d’hommes », « la terre a besoin d’armes », « lâcheté de l’égoïsme hédoniste », « il est du devoir de transcender l’intérêt individuel pour la continuité du sang et de l’État », etc. Mais aucun de ces mythes ne tient, car aucun ne peut se traduire en quelque chose de vivant, en quelque chose qui crée une conviction profonde, propre à l’individu. Ce sont des appels extérieurs, et donc illusoires, lancés en vue d’effets tout aussi extérieurs et conséquents, de causes qui échappent ou sont négligées, parce qu’elles ne sont pas des causes matérielles.

Ce n’est pas la « ville » qui tue la race, mais ce qui a créé la ville. Les races occidentales meurent démographiquement, parce que depuis des siècles elles sont déjà entrées spirituellement en agonie. C’est la vision même du monde et de la vie, que les modernes ont choisie et dont ils se vantent encore, qui les tue : la véritable cause de ce qui apparaît comme une conséquence fatale à travers les statistiques est enracinée dans leur esprit. Et comment supprimer une telle cause ? On dit : ruralisation, retour à la terre – mais quel goût a encore la terre, massacrée par l’industrie, profanée par l’angoisse d’exploiter toutes les ressources, d’industrialiser toutes les possibilités ? Et à partir du simple matérialisme du rural, qui voit dans la progéniture plus nombreuse qu’il en faut, un nombre plus grand de bras que les machines remplaceront bientôt, comment ne pas glisser vers la mentalité urbaine qui rend l’homme stérile, une fois que, sous le couvert de l’« éducation » et de la passion politique, l’individualisme et l’anarchisme des modernes se sont répandus dans toutes les campagnes ?

On ne peut aborder notre problème qu’en partant du centre. Et le centre n’est pas la société, la nation ou la race ; le centre, c’est le sens des relations. Que vaut l’amour pour l’homme moderne ? Qu’est-ce que la femme ? Qu’est-ce que l’union et la génération ? C’est là le point fondamental : mais ici, comme ailleurs, nous trouvons un sourire sans expression et sans vie. L’homme moderne ne connaît plus l’amour, ni la femme, ni le mystère et la grandeur de la création : dans un état de manie trouble et malsaine, de sensualité lubrique et inorganique, tout contracté dans l’individu, il a tout humanisé. Que reste-t-il aujourd’hui de ce sens du « rite cosmique » qui, traditionnellement – en Orient comme dans la grande lumière de la spiritualité païenne – consacrait l’union des sexes ? Il est réduit à une misérable occasion de « plaisir », à une chose impure fuyant la parole et la lumière presque comme une culpabilité et une honte, cachée et pourtant poursuivie de manière trouble par de petits hommes uniquement soucieux d’arracher le moment de « volupté », le bref frisson dont ils se relèveront vides et défaits. Sentir dans le sexe la grandeur et la puissance d’une énergie primordiale de création, et imprégner l’acte d’un tel sens, qui en est capable aujourd’hui ? Et avec qui serait-on capable de le faire ? Avec ces femmes dégénérées et neutres, insipides dans leur corruption et leur impudence, contaminées jusqu’à la moelle par tout ce que le « progrès » occidental a créé pour elles, socialement et intellectuellement, en tant que castes écrasantes, institutions écrasantes, loi écrasante des relations primordiales ? En vérité, les hommes ne savent plus rien de ce qui se déchaîne dans leurs étreintes, ils ne voient pas le démon qui joue misérablement avec eux à travers leur soif de « sensations » ou leurs dissolutions sentimentales ; de sorte que c’est à leur insu, d’au-delà et souvent malgré leur volonté, qu’un être nouveau surgit par hasard d’une de leurs nuits.

Et si tel est le cas, faut-il s’étonner que les races meurent, et que la logique inévitable qui s’impose dès que la mesure est l’élément purement humain détruit, chez les modernes, tout intérêt pour la génération ? Nous avons là le véritable centre du problème. Que personne ne dise : « Celui qui n’est pas père n’est pas un homme », mais qu’on dise plutôt que redevenir un homme vivant, un homme réintégré, et réintégrer dans le sens et dans le souffle de la puissance toutes choses, est la condition pour être père, pour être un générateur de vie. Ce n’est qu’à ce niveau que toute distinction entre qualité et quantité devient artificielle, et que la continuité et la croissance de la vie d’une souche deviennent coextensives à celles d’une tradition d’esprit dominant et de puissance.

Nous disons : que l’homme se relève, qu’il ressente toutes les forces dont il est porteur, et parmi lesquelles celle du sexe est fondamentale ; qu’il redevienne, dans ce domaine également, un être organique : qu’il vive organiquement tout ce qu’il vit aujourd’hui de manière périphérique et discontinue dans le domaine des sensations, des sentiments doux, des besoins corporels opaques. Cela permettra de réaliser tout ce que les lois contre la dénatalité, la propagande anti-malthusienne et eugéniste, l’étude des conditions sociales, économiques et « morales » ne pourront jamais faire : on saura vraiment ce que signifie une femme, une mère, un enfant.

La volonté de créer sera la joie d’un débordement de l’être, et coupera à la racine le désir inorganique de volupté, qui est le véritable principe de la mort et de la stérilisation.

Mais y a-t-il une « personne sérieuse » qui puisse considérer tout cela autrement que comme des abstractions, de la poésie, des mots étrangers au « vrai » problème positif, qui est politique, démographique, etc. ? Nous en doutons : alors qu’on essaie de relever le cadavre pour lui donner l’apparence d’un homme encore vivant ; qu’on traite les hommes, avec une rationalisation minutieuse de leurs unions, comme des lapins ou des étalons – car ils ne méritent rien d’autre –, mais que personne ne se fasse d’illusions : une loi plus forte conduira les races à l’extinction, avec la même inflexibilité que la loi physique de l’entropie et de la dégradation de l’énergie. Et ce qui a été souligné ne sera qu’un des nombreux aspects, qui commencent aujourd’hui à devenir visibles même physiquement, du « déclin de l’Occident ».