Parmi les nombreuses correspondances qui existent entre la cosmologie bouddhique et les cosmologies médiévales issues de l’hermétisme, la plus notable et la moins remarquée est sans doute le parallélisme entre les douze Signes désignant les constellations du zodiaque et les douze Origines interdépendantes où conditions de l’existence de la doctrine bouddhique. De pareils rapprochements peuvent paraître artificiels. Quel lien réel peut-il bien y avoir, demandera-t-on, entre un support spirituel d’une discipline de réalisation et la structure d’un art divinatoire où tout au plus psychologique au sens moderne de ce terme ? Cette différence de perspective ne suffit-elle pas à réduire les ressemblances numériques et autres à de fausses symétries ou de simples coïncidences ?
Ces objections méritent d’être examinées de plus près si l’on songe, d’une part au rôle capital que jouc le cycle des nidânas (« conditions de l’existence ») — répété dans une centaine de sermons et dont la seule pénétration est dite produire l’illumination -— dans le bouddhisme des deux véhicules, et, d’autre part, à l’importance du symbolisme des corps célestes dans la doctrine de Plotin, le métaphysicien par excellence du platonisme, de l’hermétisme et de toutes les cosmologies médiévales. Nous tâcherons d’y répondre en commençant par situer la perspective astrologique dans la hiérarchie plotinienne de l’univers ; ceci nous permettra d’examiner si les deux cycles duodénaires, non seulement se correspondent terme pour terme, mais dérivent en outre de données métaphysiques et cosmologiques communes comme deux ramifications divergentes issues d’un même tronc ; nous nous efforcerons ensuite de montrer comment les deux points de vue se distinguent, se complètent et se compénètrent.
I
Pour Plotin « expliquer, c’est saisir intuitivement à quel moment du mouvement de détente à partir de l’Un et du mouvement de concentration vers l’Un se place une réalité donnée ». De ce double mouvement, fait d’alternance de Vie et de Vision du Principe suressentiel (Un ou Bien, 1ère hypostase) que figurent la Lumière ou le ciel, la première résultante ou synthèse est l’Intelligence universelle (2e hypostase), identique à l’Être {« L’Un qui est ») et au Beau ; son image est le Soleil (et Cronos-Saturne, l’« autre face » du soleil). « Divisant la vision qu’elle à de L’Un », « se limitant en le regardant », l’Intelligence tend à reproduire l’Un, d’abord à son propre niveau en l’irradiant sous l’aspect intemporel et inétendu des Nombres puis (« enveloppés ») ou Idées éternelles — « beauté, bonté, justice, sainteté, grandeur, pesanteur en soi » — ; ensuite en le déployant sous la forme plus divisée, plus détendue mais encore inétendue de l’âme universelle (ou « totale » : 3° hypostase), symbolisée par deux divinités planétaires, la Lune et Jupiter, celui-ci évoquant son mouvement supra-individuel vers l’intelligible, celle-là son mouvement individuant vers le sensible. Cette polarisation en Âme du monde d’une part et en âmes isolées de l’autre n’affecte pas le mouvement simple et uniforme dont l’Âme totale comme telle « circule autour de l’Intelligence comme celle-ci circule autour de l’Un », mouvement qui est « mesuré par le temps ». Image de l’éternité, le temps — de même qu’il s’anéantit quand l’Âme se recueille dans l’Intelligence — naît à mesure qu’elle s’en détache en devenant siège de la destinée et mère des individuations {ou « raisons séminales »}, dit l’auteur des Ennéades. Son aspir-expir engendre ainsi, avec l’espace, la nature, somme des « reflets sensibles » de l’’Âme sur l’« obscure et indéterminable » Matière (dernière hypostase), Nature « qui à l’intelligence et les sensations d’un dormeur et où l’Âme universelle se répand aussi bien dans le « corps du monde » que dans les « membres de l’homme » ; l’Âme communique ainsi aux corps célestes le mouvement circulaire et l’éclat incorruptible « qui apportent la beauté à l’univers », et aux corps sublunaires ou « prisons terrestres » leurs Âmes fragmentaires, leurs vies transitoires et leurs formes corruptibles.
À tous les niveaux de cette hiérarchie, explique dans son plus beau traité l’antagoniste d’Aristote, production est synonyme, non pas de création ni même de sortie hors de l’Un, mais de contemplation : contemplation rayonnante de l’image par le Modèle et contemplation illuminante de celui-ci par celle-là, l’image étant « produite sans que rien ne s’écoule du Modèle » ; et ce depuis « le Père de l’intelligence » qui « engendre toute chose » en « s’engendrant éternellement lui-même », jusqu’au monde sensible « fils dernier né de Dieu ». Ultime reflet de la contemplation que l’Un à de lui-même dans l’Intelligence « qui ne voit que le Beau », la Nature est « contemplation silencieuse » aux confins de l’Âme du monde et, par là même, le lieu de la conversion vers l’Un pour l’âme humaine. La pensée discursive, en effet, morcelle l’intelligible et l’éparpille en images imprécises — avant-courrières des passions ——, mais grâce à l’imagination, « faculté quasi intellectuelle » et « médiatrice entre l’empreinte de la Nature et l’intellect », elle « retrouve dans la Nature la pensée non discursive de l’Intelligence », c’est-à-dire les figures où empreintes visibles des Idées éternelles : car celles-ci ont en quelque sorte deux faces, l’une regardant l’Intelligence qui s’y mire et « tourne sur elle-même », l’autre orientée vers l’Âme universelle qui en reçoit les images sous les aspects du Logos, images dont elle façonne la Nature en les imprimant à la Matière première : « transformation » d’ailleurs involontaire, l’Âme devenant forme à l’égard du sensible du fait même qu’elle reste matière envers l’intelligible : elle n’organise que parce qu’elle contemple, elle produit « en restant là-haut », elle rayonne. L’âme individuelle, en revanche ; si elle reste par sa partie supérieure immuablement tournée vers les objets éternels, oublie ces derniers à mesure qu’elle s’engage dans les souvenirs du sensible accompagnés de trouble et « devient cela même dont, elle se souvient » ; elle a « comme deux imaginations, l’une purifiée, l’autre acceptant toutes les images impures ». L’ascension contemplative est pour Plotin une correction d’images. C’est donc en s’appuyant sur une imagination rendue imperméable aux « puissances de l’âme inférieure », c’est-à-dire en conformant et assimilant graduellement les images mentales aux reflets cosmiques des idées, que les « puissances de l’âme supérieure », rassemblées dans l’intuition intellectuelle, pourront aller rejoindre à travers l’âme du monde leurs objets purement intelligibles, « les plus beaux des êtres », où l’âme déifiée reconnaît et restaure en elle-même tous ses objets morcelés de l’univers et retrouve ainsi la réminiscence de son propre archétype : le moi véritable « qui se connaît lui-même en devenant Intelligence » ; mais, comme l’intelligence « ne saisit l’Un qu’en se quittant elle-même », la subsistance bienheureuse en elle est une alternance éternelle de vision consciente et d’union absorbante, d’altérité et d’identité, de mouvement et de repos, rythme dont l’univers est l’hypostase.
Or, ce qui produit la translation circulaire du ciel selon Plotin, c’est « la conversion de la puissance inférieure de l’Âme universelle vers sa puissance supérieure » ; et, en effet, les deux ternaires de planètes, aux orbes situés respectivement au-delà du soleil et entre celui-ci et la terre, circulent dans l’espace circonscrit par les douze constellations de l’écliptique — ou orbite zodiacal du soleil — comme les puissances supérieures et inférieures de l’âme « circulent » parmi leurs objets sensibles, psychiques et intelligibles. C’est l’immanence de l’Âme à l’univers, et non une force mécanique telle que la quintessence aristotélicienne exécrée du platonisme, qui anime d’une tendance perpétuelle vers le centre les mouvements naturellement désordonnés du monde sensible. Les Signes du zodiaque ne sont pas autre chose que la synthèse des images cosmiques des Archétypes éternels — des Idées pures que Plotin appelle les « termes » de l’Intelligence et la « circonférence » du Soleil intelligible, synthèse dont la « visualisation » remonte d’ailleurs bien au-delà de la période historique. Comme son nom l’indique, le zodiaque est composé de symboles empruntés principalement au règne animal, qui est à l’homme ce que l’Âme est à l’Intelligence, et cela le situe proprement dans l’Âme cosmique en tant qu’elle est « comme un interprète qui transmet au soleil sensible les volontés du soleil intelligible, et au soleil intelligible les aspirations du soleil sensible, dans la mesure où le second peut parvenir au premier par l’intermédiaire de l’Âme : car rien n’est loin de rien. Cette fonction médiatrice, elle l’exerce par l’Intellect cosmique ou Logos — l’équivalent plotinien et alexandrin de Buddhi —, qui n’est pas une hypostase distincte, mais l’éclat de l’Intelligence principielle dans l’Âme totale et « le produit de l’une et de l’autre de ces deux hypostases ». C’est l’Intellect agent de l’hermétisme et d’Avicenne, régent des dix sphères stellaires et planétaires, le « premier créé » et, par là même, « créateur » — ou plutôt ce par quoi l’Intelligence produit, — et dont notre intuition Intellectuelle n’est qu’une participation. Cause et lien des « sons aigus et graves… qui conspirent tous à l’harmonie du tout », « ordonnateur interne » de l’univers auquel il apporte les rayons du soleil intelligible comme les planètes véhiculent ceux du soleil sensible, le Logos « n’est pas parfait sous tous les rapports et ne se donne pas tout entier aux choses » puisqu’il « produit les parties du cosmos en les opposant les unes aux autres ». C’est pourquoi il se diversifie au sein de l’Âme en une indéfinité de logos ou « principes séminaux », appelés « l’acte de l’Âme universelle ». Les logoi sont les germes informels de l’individuation et de la transmigration, les causes productrices secondes parce qu’ils s’identifient aux « empreintes » des Idées sur l’Âme ; ce sont eux qui effectuent la polarisation de celle-ci en macrocosme et microcosmes et deviennent ainsi les agents de la destinée dont le Logos « crée et distribue les rôles ». Ils sont au Logos ce que sont aux planètes les Signes zodiacaux qui les « résument ». Depuis que l’aristotélisme a rayé l’Âme universelle du cosmos et transféré dans la Matière le principe d’individuation, on ne comprend plus guère la nature des principes séminaux, que Plotin décrit comme étant à la fois universels en eux-mêmes — car « chaque âme les contient toutes » — et individuants dans leurs effets, la variété indéfinie des caractères, des propensions et des destins individuels n’étant autre que la prédominance d’un logos sur les autres, de manière que tous les principes séminaux viennent à s’actualiser au cours d’un cycle ; aussi les âmes forment-elles dans l’Âme cosmique une unité sans confusion et une variété sans morcellement. Pour représenter cette « prédominance individuante », il n’est pas d’image plus adéquate que le passage des planètes par les signes du zodiaque, où leurs positions réciproques forment des « figures » (ou « aspects ») indéfiniment variés qui « évertuent » par rapport à la terre autant de « déterminations qualitatives de l’espace », suivant expression de René Guénon. Mais ces figures, précise Plotin, n’apparaissent comme destin où fatalité qu’à l’être qui, uni à son âme inférieure, les subit passivement ; pour l’âme « associée à l’Âme universelle…, exerçant avec elle sa providence sur l’univers », elles ne sont que des signes. Car ces figures n’existent comme telles que par rapport à nous. Les astres, dit-il en effet — et l’on comprendra maintenant pourquoi, comme Origène, il parie de leur âme — se meuvent sans souvenir et sans calcul, « sans compter les espaces, toujours les mêmes, où ils se déplacent, et les durées de leur parcours… ; ce passage est, pour eux, accidentel, et leur pensée se fixe sur des objets autrement importants… : c’est le mouvement d’un être animé unique, n’agissant qu’en lui-même… à cause de la vie éternelle qui est en lui ». Quand elles ne sont que des signes, ces figures deviennent, on le voit, les miroirs d’une perfection, la même pour toutes les âmes, la nôtre dès que l’oubli du sensible nous a fait comprendre que, pour nous aussi, « se souvenir de ce qu’on voit n’est pas nécessaire quand on contemple ».
Il est temps de répondre à une question d’ordre doctrinal que soulève la hiérarchie plotinienne. Pourquoi la Matière, qui occupe le cinquième degré de la hiérarchie, après La Nature, est-elle la quatrième et non la cinquième hypostase, et pourquoi la Nature n’est-elle pas une hypostase distincte ? Parce que, dira-t-on, la Nature n’est pas une émanation directe de l’Âme comme l’est celle-ci de l’Intelligence et l’Intelligence de l’Un, mais le produit de l’Âme agissant sur la Nature. Sans doute, mais alors, pourquoi la Matière n’est-elle décrite nulle part comme jouant le même rôle de « substance » dans la production de l’Âme — et du Logos qu’elle renferme — par l’Intelligence, comme c’est le cas par exemple de Prakriti, dont le Sanskrit précise qu’elle produit Buddhi — le Logos hindou -— sous l’influence non-agissante de Purusha après s’être séparée de ce dernier ? Cette question, à laquelle on a parfois donné des réponses embarrassées, se pose pour la tradition hermétique tout entière, notamment islamique (…). Plotin y répond en disant que la première triade d’hypostases (l’Un, l’Intelligence et l’Âme) s’arrête à la série des réalités divines où le mal ne pénètre pas ; et « le premier mal », c’est la Matière, miroir obscur dans lequel l’union de la forme à la matière n’est jamais complète parce que, radicalement impassible, a elle tend à absorber les formes engagées en elle » ; elle ne pénètre comme telle que dans la Nature qui, soumise à la génération et à la corruption, n’est pas une hypostase ni une émanation, mais « le reflet d’un reflet ». Dans les hypostases divines, eu revanche, où « l’Âme est la matière de l’Intelligence », c’est au contraire la forme qui s’unit à la matière au point de l’absorber. « Ce qu’on appelle là-bas matière est une forme », une forme « qui n’a avec la matière qu’une distinction de raison », qui dans l’intelligence n’est pas seulement acte, mais en acte, ses modifications lui venant d’une puissance interne, non d’une chose en puissance : inversement, la Matière n’y est pas en puissance, mais Puissance : « non, ces choses n’y sont en puissance, mais l’Âme y est la puissance productrice de de ces choses » ; elle y est, en termes hindous la Shakti. Shakti dans l’Intelligence, « qui ne passe pas de la puissance à l’acte », où « il n’y a pas de matière (ténébreuse) » parce qu’en elle « rien n’est à venir qui ne soit déjà », la Matière plotinienne est Avidyä-Shakti car « elle apparait où cessent les êtres intelligibles », et enfin -Shakti où Prakriti — pôle ténébreux Avidyä-Shakti — dans la Nature, où « la forme n’est qu’une image » tandis que « là-bas la forme est une réalité » et où « le réceptacle de l’état est non pas l’état, mais la privation », privation perçue « comme si l’œil, dans l’obscurité, avait de celle-ci une espèce de vision… autant qu’on peut voir la plus laide des réalités, sans couleur, sans lumière, et même sans grandeur, sans quoi l’âme lui attribuerait une figure ». De même que l’obscurité s’affirme à mesure qu’on s’éloigne de la lumière et s’efface au point d’y disparaître à mesure qu’on s’en rapproche, de même, quand on passe de la Nature aux hypostases divines, la perspective change et, avec elle, le point de vue sans lequel la Matière est perçue.
Or, ce passage est aussi celui qui conduit de la perspective cosmologique et « physique » du Samkhya à la perspective métaphysique du Vêdânta, c’est-à-dire de Prakriti, Substance réelle, éternelle et indépendante, évertuée par l’influence non-agissante de l’Être divin (Purusha), à Mâya, puissance comparée à une magie dont Brahma est lui-même la cause à la fois efficiente et matérielle. De la première, le monde procède de bas en haut, comme la Nature plotinienne « émerge » de la Matière inférieure ; la Mâya de Shankara, au contraire, est Bîja-Shakti, « puissance séminale », qui engendre mais ne crée pas, et « shristi » émanation où plutôt procession — car rien ne sort du Principe, répètent les deux maîtres — ; et pour Plotin, la Matière est au fond « un mensonge — ou fantôme — en acte », qui a son être dans le non être » — et « si on retire leur mensonge aux êtres mensongers, on leur retire aussi leur essence » — et dans le Principe, elle est Puissance de l’Un, « Altérité convertie et pénétrée de la lumière du Bien ». Le Purusha des Upanishads — la « Forme intelligible » de Plotin — ne s’oppose à rien, pas même à ce qu’on pourrait être tenté d’appeler l’aspect principiel ou intra-divin de Prakriti, dont il n’est plus question dans le Védânta-Darshana ; réfutant les grammairiens pour lesquels l’intellection du sens des Ecritures procéderait des lettres et des mots comme d’une matière plastique, Shankara la décrit comme une réminiscence : « la Parole sous l’aspect du sphota est éternelle, dit-il, et c’est d’elle que l’univers composé d’actes, d’agents et de fruits procède comme un Nommé émanant d’un Nommant ». Il n’y a pas trace non plus de dualité où de polarisation quand Allah profère Ses Noms « qui ne sont ni Lui, ni autres que Lui » et dont l’univers et ses points de vue ne sont que des ombres. L’illusion que la Matière est une substance inerte, qu’elle « tient de la nature de l’espace », est inhérente au point de vue de la Nature, parce que « l’âme, ne trouvant rien à définir lorsqu’elle s’approche de la matière, se laisse aller dans l’indéfini ». Mais en réalité, « sans cesse en mouvement vers la forme, docile à toute influence », « la Matière n’est jamais en repos ». Quant à la « Matière divine, elle possède la vie bien fixée dans l’Intelligence », et c’est bien la Toute-Possibilité que désigne Plotin en la décrivant comme « Altérité intelligible et Mouvement premier qui, indéterminés en eux-mêmes, se déterminent par leur conversion vers le Principe ». Or, « l’Âme est le verbe et l’acte de l’Intelligence, comme celle-ci est le verbe et l’acte de l’Un ; et elle le voit sans en être séparée, parce qu’elle est après lui et qu’il n’y a rien entre eux ». Rien n’est en Repos hors du « sanctuaire de l’Un » et « ce qui vient de l’Un en vient sans qu’Il soit en mouvement… comme la lumière resplendissante du Soleil ». Si Plotin appelle « Ciel intelligible », le Principe, où la Matière « n’est pas la lumière, mais la possède », c’est qu’elle y est le modèle de ce qui, dans le ciel sensible, est l’interception réverbérant, par les corps célestes, de l’obscurité translumineuse : « L’illumination dans les ténèbres, à bien l’examiner, leur fera reconnaître les causes véritables du cosmos ».
Ces remarques sur les deux Matières rejoignent un fait qu’il convient d’avoir en vue en abordant la suite de cette étude : on peut parler de vérités métaphysiques, principielles, divines sans s’élever pour autant au-delà du niveau infra-cosmique ; c’est notamment le cas de la théologie latine en général ; inversement, on peut parler de faits cosmiques sans se limiter au niveau cosmologique, c’est-à-dire sans quitter pour autant le point de vue métaphysique ; c’est ce que firent Plotin et l’auteur du Traité de l’Unité. Cette perspective implique le passage de la théorie métaphysique, dans le sens d’intuition spéculative des premiers principes à la théorie au sens plotinien, c’est-à-dire à la vue nouvelle des choses issue de la contemplation de l’Un. Au symbolisme qui transpose les objets dans leur réalité principielle fait alors place un symbolisme où le Principe, entrevu pendant de « rares instants », apparaît comme étant, suivant l’expression bouddhique, l’autre côté plus encore que de l’autre côté des choses. Cette vue nouvelle présuppose, comme nous tâcherons de le montrer, ce que Plotin appelle la « sympathie universelle » et le bouddhisme la « charité cosmique »,
Jean THAMAR. Études Traditionnelles. Le Voile d’Isis. Mars 1951.