Il existe une foule de « gains » associés à la perte qui peuvent rendre la réussite moins « attrayante » pour certaines personnes disposant de certaines conceptions politiques et économiques. Pour une personne de gauche, perdre est parfois un privilège. Le fait est que toute personne intéressée à réussir dans la vie et à atteindre ses objectifs doit être prête à payer les « coûts » associés à cette réussite. Ces coûts correspondent globalement à l’énergie supplémentaire dépensée. En effet, pour gagner, vous devez généralement « payer plus » en termes de travail, de temps, d’énergie, d’argent, d’efforts et de sacrifices que vos concurrents ne peuvent ou ne veulent le faire. La victoire coûte parfois beaucoup à l’homme victorieux, et plus le domaine dans lequel le combat est mené est compétitif, plus celui qui gagne a du dépensé une grande quantité d’énergie pour vaincre, comparativement à ses adversaires.
Par ailleurs, il y a aussi un autre coût qui doit être payé pour « gagner », quelle que soit la chose que l’on essaie d’obtenir. Le coût de la victoire correspond à la volonté de sacrifier et de se sacrifier. Ainsi, de nombreuses personnes ne réussissent pas parce qu’elles ne vont pas jusqu’au stade du sacrifice pour vaincre. C’est pourquoi il est parfois plus « rentable » de perdre : car on conserve encore certaines choses.
En effet, dans toute lutte (individuelle, sociale, économique, politique, etc.), les perdants obtiennent quand même certaines choses : la sympathie, le soutien, la compassion. A l’inverse, le fait de gagner est souvent associé à une grande quantité de douleur, de luttes, de sacrifices, de solitude. Une fois que vous êtes devenu un gagnant, pour le meilleur ou pour le pire, vous ne pouvez pas raisonnablement vous attendre à de la sympathie ou à de la compréhension pour vos souffrances et vos sacrifices et ceci parce que, que ce soit vrai ou non, les gens croient que votre succès devrait être une compensation suffisante. Or, ce n’est pas nécessairement toujours le cas. Toute victoire a aussi un goût amer : une réalité que seuls ceux qui ont vaincus peuvent savoir.
Il est souvent dit que « la misère aime la compagnie ». Pourquoi ? Parce que la souffrance est universelle tandis que peu de gens connaissent le succès. Beaucoup de gauchistes ne peuvent pas sympathiser avec le succès, même s’ils le voudraient, parce qu’ils n’en ont pas encore fait l’expérience. De nombreuses personnes sont dépendantes du regard des autres, et nombreux sont ceux qui préfèreraient souffrir en compagnie des autres plutôt que de connaître le succès mais de se sentir seuls. Ces personnes sont généralement à gauche de l’échiquier politique.
C’est pourquoi de nombreuses personnes sabotent leurs propres progrès afin de ne pas saborder leurs relations actuelles. Les gagnants doivent aussi généralement renoncer à un soutien émotionnel. Les gagnants sont célébrés au moment de la victoire, mais à partir de ce moment-là, personne ne viendra les plaindre.
Un autre aspect qui rend « attrayant » le fait de perdre réside dans le fait de conserver l’espoir, de continuer à rêver. Une fois que vous avez perdu, vous pouvez toujours recommencer à penser à d’autres objectifs et recommencer à vous concentrer sur un objectif futur qui n’a pas encore été atteint. Alors que, quand vous avez gagné, votre concentration décroît par rapport au moment où vous ne pensiez qu’à vaincre, et votre objectif se tourne désormais sur le fait de conserver ce que vous avez gagné, plutôt que sur le fait de gagner en lui-même. Ce n’est plus tout à fait la même chose. Passer d’un état de tension à un état de maintien, ce n’est pas aussi facile que l’on croit, et une fois que vous êtes le champion, il y a – en quelque sorte – nulle part où aller. En revanche, tant que vous n’avez pas encore gagné et que vous restez dans la « lutte des classes » ou dans la course, votre esprit ne se soucie pas encore de « l’après ». Le fait de s’efforcer d’atteindre un objectif peut vous donner un sens, un but et un épanouissement dans la vie, et une fois que c’est fait, vous vous retrouvez parfois un peu perdu.
Vous pouvez également vous bercer d’illusions en pensant que vous serez « enfin » heureux lorsque vous atteindrez votre objectif, mais dans la réalité, c’est plus compliqué que ça. Ceux qui ont atteint leurs objectifs peuvent découvrir après un certain temps qu’ils sont tout aussi malheureux, incomplets et insatisfaits qu’ils l’étaient auparavant. Ils n’ont alors pas recours à un espoir qui pourrait les protéger de cette expérience et c’est précisément à ce moment-là que de nombreuses personnes qui ont réussi commencent à dérailler, car elles ne peuvent plus croire que leur bonheur se trouve de l’autre côté de la frontière ou de la ligne d’arrivée.
Une fois de plus, la victoire est associée à de la pression et des responsabilités et à l’obligation de rendre des comptes. Peu de gens demandent des comptes aux perdants. Nous pensons qu’ils ont suffisamment souffert, comme si le fait de rendre des comptes revenait à les renvoyer à leurs échecs. Finalement, les perdants qui évitent de rendre des comptes aux autres ou à eux-mêmes sont souvent maintenus dans leurs difficultés plus longtemps que nécessaire en raison de sympathisants bien intentionnés mail mal avisés. Le monde est plein de mecs de gauche qui savent exactement comment ils géreraient le fait d’être riches ou célèbres ou qui savent exactement comment changer le monde pour une meilleure « justice sociale ». Mais en fin de compte, ils ne savent absolument pas comment ils se comporteraient s’ils avaient du pouvoir, et par ailleurs, il vaut mieux que ces mecs n’aient justement aucun pouvoir.
Enfin, gagner peut complètement déstabiliser votre vie, et c’est souvent la raison pour laquelle les gens de gauche, trop souvent, s’auto-sabotent lorsqu’ils sont sur la bonne voie. Lorsqu’ils sont sur le point de réussir, la perspective d’atteindre une nouvelle réalité devient trop vertigineuse et perturbante pour leur mode de vie, leurs relations et même vis-à-vis de leur conception d’eux-mêmes. Ils pourraient être complètement bouleversés s’ils accédaient soudainement à une couche sociale plus élevée. Ils choisissent donc consciemment (ou non) d’accepter la défaite et de ne pas tout faire pour arriver au succès, préférant rester dans « l’espoir de gagner dans un certain avenir » plutôt que d’affronter la réalité de la victoire au moment présent, ce qui leur permet également de croire qu’ils auraient « pu gagner s’ils l’avaient vraiment voulu » et de se réconforter avec la sympathie et les condoléances de ceux qui les entourent, dont beaucoup d’ailleurs sont secrètement soulagés, voire satisfaits, de les avoir vus échouer ! Telle est la mentalité qui règne à gauche, même si les intéressés sont prêt à jurer du contraire.