Baguette divinatoire, sourcellerie, radiesthésie.

S’il était encore nécessaire de démontrer que notre époque correspond, selon l’expression de M. René Guénon, à « la période la plus noire du Kali-Yuga », ère de destruction annoncée par toutes les Traditions, il n’y aurait besoin que de souligner la contradiction de ses croyances, car la contradiction est précisément l’anéantissement, considéré dans le domaine de la logique. 

Fière de ses découvertes dans l’ordre matériel, dédaigneuse du spirituel ; ardente à découvrir les applications, sans jamais approfondir les principes ; l’époque actuelle — ou du moins sa manifestation occidentale — se plaît à affirmer qu’« elle ne considère comme vrai que ce qui est démontré avec certitude », sans s’apercevoir que la certitude ne peut reposer que sur le socle solide de la Tradition extrahumaine. 

Sans base, sans but, telle est la science moderne, que pourrait symboliser un fil, qui ne partirait de rien et ne mènerait nulle part. 

Il ne faut donc point s’étonner des courants contrariés qui agitent nos contemporains dans leur ensemble et, ce qui est plus singulier, qui tiraillent parfois certains esprits, incapables de saisir la contradiction — même formelle — de leur pensée. 

Ainsi, certaines bribes de la Tradition remontent comme une écume, à la surface de la marmite bouillonnante où les sorciers modernes cuisent les herbes de toute provenance sans en connaître les vertus, soucieux des seules applications strictement pratiques des sciences traditionnelles — et encore, parmi ces applications pratiques, ne s’intéressant qu’aux plus basses, et, au sens strict, aux plus viles. 

C’est ce qui explique la vogue du spiritisme, du théosophisme, des pratiques de magie noire, dont la persistance nous est révélée par des enquêtes de journaux, — et, tout récemment, de la baguette divinatoire.

L’usage de la baguette appartient à la grande et antique famille des pratiques divinatoires dont on trouvera un exposé dans l’Histoire de la Divination dans l’Antiquité, de M. Bouché-Leclercq (Paris, 1879-1882), et une critique plus accessible dans le volume de M. J. Maxwell, La Divina- tion (Paris, 1927), bien que cet exposé de bonne foi appelle les plus expresses réserves du point de vue doctrinal. 

Quant à l’art de la baguette divinatoire, il fut pratiqué au moyen âge sous le nom de rhabdomancie, mais ce n’est que dans ces dernières années qu’il est devenu la « radiesthésie », désignation typique, car, en un seul mot, on a affublé une hypothèse contestable (sensibilité aux « radiations ») d’un nom grec destiné à la rendre respectable aux yeux de nos naïfs contemporains. 

La radiesthésie moderne emploie deux instruments : la baguette fourchue, et, de plus en plus, le pendule. Chaque opérateur préconise des formes, des matières et des dimensions différentes ; certains même veulent que les instruments soient peints d’une couleur particulière. L’opérateur lui-même tiendra ou non, selon les auteurs, une parcelle de la substance à rechercher. Certains recommandent que les semelles de ses chaussures ne soient pas de substance isolante ; selon d’autres, la précaution est inutile. L’abondante littérature radiesthésique démontre à l’évidence que la matière même de la baguette ou du pendule est indifférente, ou, pour rester dans l’entière objectivité, laissée à la fantaisie de chaque opérateur. 

Les instruments divinatoires décèleraient sur le terrain l’eau (immobile ou en mouvement), les cavités, les richesses minérales naturelles (métaux, pétrole), les trésors (métalliques ou non). Même quand les matières ont disparu (par exemple, le trésor ayant été déjà découvert), elles laisseraient des traces décelables. 

On évaluera l’importance de la découverte et la profondeur du gisement par des méthodes accessoires. 

Plus récemment, les modernes sourciers ont prétendu pouvoir, par la baguette et le pendule, analyser des échantillons minéraux (et y préciser le groupement réel des ions), déceler et nombrer les microorganismes des eaux, vérifier le sexe des œufs, prédire le temps. 

De plus en plus fort : on fera le diagnostic des maladies microbiennes ou non ; et, par présentation de remèdes, on préconisera un traitement. 

Mieux encore : il sera inutile de se déranger pour opérer : une carte orientée, un plan, une photographie du malade, suffiront. 

On voit par cet exposé comment progressent avec le temps les prétentions des radiesthésistes, et le glissement de plus en plus accentué de méthodes, qui pouvaient au début paraître scientifiques, vers des pratiques qui ressortissent à la divination pure et parfois même à la magie noire. 

Le côté divinatoire devient de plus en plus évident. La littérature radiesthésiste se charge de la démonstration, sous les formes les plus inattendues et souvent les plus burlesques, — et là, un théologien reconnaîtrait facilement la « marque » commune des phénomènes. 

L’un recommande de « faire une convention avec le pendule » : l’instrument révélera docilement la profondeur du gisement en mètres, en décimètres ou en pieds anglais, selon la « convention » faite nous allions dire « selon les termes du pacte ». 

On « demandera au pendule » quel amendement est nécessaire à telle terre pour telle culture : le pendule répondra à volonté en pourcent ou en kilogrammes à l’hectare. 

Très sérieusement, tel sourcier déterminera le nombre des chevreuils d’une chasse, « le poids du Sanglier géant du Muséum d’Anvers » (alors que l’opérateur est en Saintonge). Un automobiliste en panne découvrira, grâce au pendule, l’endroit où un mauvais contact éteint ses phares. Tel autre découvrira dans son logement la cause d’odeurs de crevettes !… 

Le pendule répond donc à n’importe quelle question formulée. Tel mouvement (arbitraire d’ailleurs) sera oui, tel autre non. Si la réponse doit être précise, on fera à l’avance une « convention avec le pendule », et celui-ci, ayant compris, répondra correctement. 

Comment les radiesthésistes expliquent-ils leurs résultats ? 

Ce chapitre, pour être complet, demanderait des volumes, car les modernes sourciers ne sont jamais à court de théories. Bien entendu, ce sont surtout les découvertes de la science moderne qui les excitent, et deux géologues, MM. R. Humery et R. Soyer, se sont amusés à collectionner les théories. Ce ne sont qu’ondes, radiations, rayons, corpuscules ; citons exactement : « rayon fondamental, fluide d’intention, fluide d’attente, rayon capital, gradient de potentiel, ondes de vie, rayons vitaux, rayon mental, rayon de syntonisation cérébrale, radiations du professeur Wimmer (réfractées sur un prisme en bois), forces cylindriques de Mme Chantereine », etc. Il y a même une « radiation nocive », qui, selon l’abbé Mermet, provoque des malaises et fait « tourner » le fromage !… 

Le désordre dans les théories n’échappe d’ailleurs pas aux radiesthésistes eux-mêmes, qui confessent, comme M. Armand Viré, que « l’unité de doctrine est loin de régner ». 

Parallèlement, les appareils se compliquent ; c’est à qui attachera son nom à un nouveau dispositif : le « stréborcam », le sténomètre de Joire, les écrans de Killner, les solénoïdes du pharmacien Lesourd, l’anthropoflux de Muller, le neurotonomètre du D Leprince, l’appareil Teretchenko, l’appareil Phély, le radiobiomètre, le radiocampimètre, l’aspironde de Mermet, etc. 

Enfin, de toutes parts naissent des « écoles de Radiesthésie », même par correspondance, et les tireuses de cartes ajoutent bien entendu, au marc de café un peu trop populaire, l’art savant de la Radiesthésie scientifique. Il ne manque à ce monde — décidément très moderne — ni les hommes d’affaires, qui montent des sociétés anonymes, ni même quelques aigrefins. 

Tel est le tableau — raccourci, mais très exact — de la Radiesthésie, avatar moderne d’une discipline divinatoire ancienne comme le monde. 

Quels sont les résultats ? 

Les avis sont partagés. Il semble bien que, dans certains cas, des résultats sont certains, notamment dans la recherche des eaux et des métaux. Et d’ailleurs comment pourrait-on expliquer la persistance, à travers les siècles et sur toute la surface du globe, de telles pratiques, si elles n’avaient jamais rencontré que l’insuccès ? Cet argument, valable pour maintes disciplines traditionnelles, l’est aussi pour la sourcellerie ; et, selon Maxwell, le Docteur Gustave Le Bon lui- même aurait été convaincu. 

Le mouvement de la baguette ou du pendule serait dû (et les recherches faites en 1854 par Chevreul semblent l’avoir démontré) à des mouvements musculaires imperceptibles — souvent même inconscients — de l’opérateur. 

D’où proviennent ces mouvements ? Toute la question est là ; mais c’est précisément la question que nous ne voulons pas aborder ici. 

Nous croyons avoir démontré — et une étude précise des textes nous en a convaincu — que la Radiesthésie n’a rien d’une discipline scientifique : son véritable nom est Rhabdomancie ; en français, pratique de la baguette divinatoire. 

Or, ce que les Occidentaux modernes ignorent pour la plupart, c’est que ces sciences traditionnelles relèvent de disciplines précises, qui se déduisent elles-mêmes de connaissances doctrinales d’un tout autre ordre. Nos sourciers modernes sont comme des garçons de laboratoire qui auraient surpris le dispositif de quelques expériences de maîtres et essaieraient de les reproduire, pour en tirer profit : ils réussiront parfois, mais, dans la plupart des cas, ils obtiendront des résultats négligeables ou, pis encore… Souvenons-nous de la fable de l’apprenti-sorcier. 

Le moindre mal, pour un sourcier, sera donc d’échouer dès les premières expériences. S’il réussit au travail, sa confiance en lui-même ne connaîtra plus de bornes, et, là encore, le moindre mal sera le ridicule qui s’attache aux maniaques inoffensifs. 

Mais sur les milliers de néophytes que chaque mois recrute la radiesthésie, grâce à la propagande sans critique de la presse quotidienne, combien, pour leur malheur, obtiendront des résultats de plus en plus passionnants et peu à peu se laisseront aller à devenir le jouet de ces « influences errantes », dont les Orientaux signalent la nocivité dès les premiers pas !

Nous connaissons très exactement les méfaits que les pratiques divinatoires — et, a fortiori, la pratique de la magie — peuvent provoquer chez les apprentis-sorciers ; l’histoire des tables tournantes est là pour nous les conter. Et certaines analogies sont frappantes. 

De même que les tables tournantes ont leur théorie assez peu cohérente dans le spiritisme, de même la baguette divinatoire est en train de codifier le fatras de ses formules dans la « Radiesthésie ». Sous couleur d’étude scientifique au début, le spiritisme est souvent devenu divinatoire, — et l’on ne compte plus les gens qui s’adressent aux tables tournantes pour retrouver un objet perdu ou même solliciter un conseil financier ! 

L’Église catholique, qui a fort bien vu le danger que contenait le spiritisme, aussi bien pour la doctrine que pour la santé physique et morale des fidèles, l’a formellement interdit. Les autorités ecclésiastiques se sont aussi préoccupées déjà de la sourcellerie moderne. 

En tout cas, c’est en parfaite connaissance de cause que nous conseillons la prudence à tous ceux qui ne peuvent recevoir des instructions pratiques d’un guide avisé et, a fortiori, à tous ceux qui n’ont pas une instruction doctrinale suffisante. 

RENATUS. Études Traditionnelles. Le voile d’Isis. Février 1936.