Clown World (28) – les demi-habiles. 

Attention ! Cet article fait partie du projet « Clown World ». Vous consultez la section 1.3.4.

Les livres d’histoire, les films, les reportages TV et les journaux nous mettent en garde contre les dangers de l’accession au pouvoir de génies malfaisants. Des orateurs habiles comme Hitler, parait-il, sont capables de faire plonger masses dans l’erreur et la haine, avec des conséquences désastreuses à l’échelle nationale et internationale…

Mais une armée de « génies du mal » n’est pas aussi dangereux qu’un seul demi-habile.

Il est particulièrement difficile de décrire l’intelligence du demi-habile. Ce dernier est presque insaisissable. Il est légèrement plus intelligent que le français moyen, mais n’est pas capable d’avoir « de l’esprit » pour autant. Il est, en quelque sorte, coincé entre deux paliers de l’intellect : capable de fournir un effort de raisonnement et d’analyse, mais incapable de fournir une « pensée propre ». Il n’est pas ennuyeux, mais il n’est pas brillant non plus. Il est très exactement au centre de la courbe de Gauss. 

Les psychologues ont observé un curieux phénomène connu sous le nom « d’effet Dunning-Kruger » : il s’agit du fait qu’une personne possédant un faible niveau de compétence ou de connaissance se surestime fortement. Ce phénomène psychologique est connu sous le nom de « supériorité illusoire ».

Une personne est davantage susceptible d’être victime de l’effet Dunning-Kruger lorsqu’elle a peu de connaissances sur un sujet. En effet, une personne qui ne connaît pas les limites d’un domaine de connaissances ne connaît pas non plus les limites de ses propres connaissances. 

Un demi-habile est une personne totalement incapable de reconnaître ses propres lacunes intellectuelles. Le demi-habile pense qu’il est la personne la plus intelligente qui ait jamais existé. C’est parce que sa compréhension de ses limites est minimale.

L’élément central de la psychologie du demi-habile est sa tendance à suivre le troupeau. Ils ne peuvent pas vraiment comprendre ce qui se passe sous leurs yeux, devant eux, et encore moins voir au-delà des phénomènes observables, mais ils aiment donner l’impression qu’ils le peuvent. La seule façon pour eux de continuer à donner cette impression est de dépenser beaucoup d’énergie à déterminer ce que pensent les personnes réellement intelligentes.

Le problème est que les demi-habiles ne peuvent généralement pas faire la différence entre les personnes plus intelligentes qu’eux et les vrais idiots. Cela conduit les demi-habiles à commettre deux erreurs caractéristiques.

La première consiste à penser que les gens plus intelligents qu’eux sont fous.

Les demi-habiles n’ont pas la tournure d’esprit nécessaire pour lire les revues scientifiques, et encore moins pour effectuer des analyses de la littérature scientifique. Ils dépendent donc de la parole des « experts » pour comprendre ce qui est dit dans une étude. Bien entendu, si une personne n’a pas d’expertise elle-même, elle doit faire confiance à ceux qui en ont une, ce qui n’est pas toujours évident.

Toute avancée scientifique ou culturelle authentique ne sera, dans un premier temps, comprise ou appréciée que par les véritables experts et génies du domaine. À partir d’eux, le message passe à tout le monde. Ainsi, toute avancée scientifique vraiment intéressante ne sera appréciée que par une minorité, du moins au début.

Parce que le demi-habile suit le troupeau, il rejettera toujours le génie du domaine comme étant « fou » en raison de son faible nombre d’adeptes. En effet, le demi-habile évalue une idée non pas pour elle-même et en elle-même, mais en fonction de ce que les autres pensent de cette idée. Et comme certaines idées sont peu suivies ou connues du grand public, le demi-habile considèrera que c’est une « mauvaise » idée. 

La deuxième erreur caractéristique du demi-habile consiste à considérer que ce qui est vrai, c’est ce qui est communément admis. 

Parce qu’il sait qu’il ne se distingue en aucune façon, étant tout à fait médiocre, l’esprit médian en vient à privilégier la moyenne par rapport à l’exceptionnel. Il en résulte une tendance à ignorer tout ce qui est vaguement controversé. Si le troupeau le pense, c’est suffisant pour que le demi-habile considère cela comme vrai. Comme il se trouve au centre de la courbe en cloche, ses opinions sont les plus courantes. Ils en concluent donc qu’elles doivent être correctes.