L’État idéal, organique et traditionnel est régi par quatre castes : prêtres, guerriers, producteurs et serviteurs. Ces castes correspondent symboliquement à la division du corps humain en tête/cerveau (prêtres), poitrine/cœur (guerriers), estomac/foie (producteurs) et membres (serviteurs).
L’ordre traditionnel n’est pas fantaisiste, et la division en castes n’est pas un simple produit arbitraire de la volonté humaine. Ce n’est pas la naissance qui détermine la nature de quelqu’un, mais la nature de quelqu’un qui détermine sa naissance – et, par extension, sa caste. Caste signifie « loi » et/ou « ordre », car elle est considérée comme le point de départ de toute tentative d’élévation spirituelle. Chaque individu a une part de l’Ordre universel et du Principe supranaturel en restant fidèle à sa propre nature et à sa caste. Dans un système social orienté vers le haut, la nature de chaque être est hiérarchisée selon la justice, de sorte que toute inégalité entre les hommes est le reflet d’une inégalité plus profonde : chaque personne, ayant trouvé sa place, selon l’ancien adage « à chacun selon sa place ». Par ailleurs, toute activité humaine offre la même possibilité d’élévation spirituelle : accomplir son devoir, c’est contribuer à la mise en œuvre de l’Ordre et donc participer au Principe métaphysique.
Le reflet politique et social de cette perspective se retrouve dans l’organisation des peuples indo-européens, qui divisaient leurs propres communautés selon trois fonctions principales correspondant aux trois aspects de l’être (âme, esprit et corps) – la quatrième fonction étant réservée aux serviteurs. La première fonction correspond à l’administration mystérieuse de l’univers, avec ses lois et rituels divins, et incarne l’affirmation d’un ordre cosmique général dans le monde des hommes. C’est la fonction des prêtres, qui gardent le savoir primordial et sacré et actualisent le sacré par le biais du rituel. Dépositaires de ces techniques de consécration et de sacrifice, les prêtres sont les médiateurs entre le ciel et la terre, le sacré et l’humanité.
La seconde fonction incarne le pouvoir et le commandement, la virilité, l’héroïsme et cette force qui accorde la victoire ; par l’action, elle entraîne la régénération de l’univers. C’est la caste guerrière exprimée par l’aristocratie : cette puissance et cette énergie qui agissent pour la défense de la communauté.
La troisième fonction, qui symbolise la fécondité et la prospérité, est partagée par la majorité du peuple : les producteurs, les agriculteurs et les artisans. Ces personnes sont responsables des activités liées à l’obtention des biens et services dont la communauté a besoin.
Au-dessus de toutes les castes se dresse le Roi, incarnation de l’unité de l’autorité spirituelle et du pouvoir politique. Le Roi est le cœur du monde, le reflet vivant de ses origines, l’intermédiaire entre le ciel et la terre, et une créature possédant à la fois une nature humaine et divine. Le Roi se situe au sommet de la hiérarchie humaine, comme le dernier échelon de la hiérarchie céleste et la manifestation mondaine et visible d’un ordre supérieur : comme le « Seigneur de paix et de justice ». Le Roi exprime les trois fonctions : il est le souverain qui administre la loi, le guerrier qui protège la communauté des ennemis visibles et invisibles, et le dispensateur de paix et de prospérité. L’ordre que le Roi incarne peut être brisé s’il manque à son devoir : l’orgueil, la tromperie et la luxure sont les principales causes qui entraînent la décadence en rompant l’harmonie et l’équilibre.
Lorsque la décadence a suivi son cours, les rois ont été remplacés par des prêtres. L’autorité spirituelle s’étant séparée de l’autorité temporelle, une forme lunaire de spiritualité s’est imposée, et l’élément viril a assumé un rôle passif devant la femme. Cette décadence permit aux prêtres d’être investis d’un pouvoir qui n’était ni royal ni sacré, mais simplement matériel et séculier. C’est ainsi que se produisirent pour la première fois les phénomènes jumeaux de l’abstraction religieuse et de la sécularisation du pouvoir. C’est l’époque des guerriers qui, dans une révolte titanesque, cherchent à affirmer le principe de la guerre par l’usage pur et simple de la violence. Dans le monde classique, cet élément sauvage est symbolisé à la fois par les amazones, qui incarnent la tentative sournoise de restauration lunaire, et par la figure du « surhomme », qui représente une virilité matérialiste qui agit sous l’influence de l’orgueil, de la violence, de la perversion, des passions et des instincts. A la place de l’Autorité, nous trouvons ici un pouvoir qui s’affirme par la violence. Avec l’avènement de la caste des marchands, au contraire, une vision utilitaire de l’économie a fini par imprégner tous les aspects de la vie : la richesse et le gain matériel sont ainsi devenus les idéaux les plus élevés. Dans la pensée classique, ce changement était incarné par l’amante passionnée Aphrodite – qui a remplacé la figure de la Mère – et par Dionysos, un symbole de la licence, du déchaînement orgiaque, de l’excès et de la primauté du sexe et de la mort.
La prédominance de la caste des serviteurs, avec ses ténèbres, a conduit à la folie du collectivisme, des masses anonymes et de la pure quantité informe, qui incarne la perte de tout contact avec le Ciel. Une possibilité existe néanmoins d’enrayer cette chute en restaurant les origines par le biais de l’élément guerrier. Les héros peuvent à nouveau conquérir la condition primordiale et donner naissance à un nouveau Satya Yuga (âge d’or( en atteignant l’immortalité. La virilité spirituelle ne peut être atteinte qu’en surmontant à la fois la virilité matérielle et la spiritualité « lunaire ». Les civilisations héroïques représentent la restauration de la lumière originelle. Le Titan représente le tissu brut du héros : les deux figures participent de la condition guerrière, mais alors que l’élan vers la transcendance est avorté dans le cas du Titan, il est accompli dans le héros. Selon la Tradition, il n’y a pas de conflit entre l’autorité spirituelle et le pouvoir temporel ; au contraire, les deux sont liés dans une relation organique et hiérarchique. Lorsque les deux fonctions sont au contraire mises en opposition ou séparées, un cycle de décadence commence : un cycle destiné à se terminer par le rejet complet de toute autorité.