Le Serpent Enroulé (16).

Dans cette série d’articles, je vous propose ma traduction en français du livre « The Coiled Serpent: A Philosophy of Conservation and Transmutation of Reproductive Energy », de C. J. Van Vliet.

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Chapitre précédent : 

14. Le principe du plaisir.


XV

LES SENS

« Nous sommes livrés au monde des sens, nous négligeons le monde spirituel ».

– Roger Bacon. 

Si nous comparons l’organisation de la nature humaine à celle d’une armée en campagne, les sens physiques représentent les avant-postes qui rapportent leurs découvertes au service central de renseignements. Le succès des progrès dépend de l’utilisation qui est faite des données reçues des avant-postes. Une armée dont les éclaireurs sont autorisés à faire entrer clandestinement des produits intoxicants et salaces dans le quartier général et dans les campements est vouée à l’échec. Le progrès humain est également impossible lorsque les sens sont autorisés à introduire des sensations douteuses dans le corps et l’esprit.

Au cours de l’évolution, la conscience des sens s’est d’abord manifestée chez les plantes, suscitant les prémices d’un développement des émotions. Chez les animaux, les émotions, stimulées par les sens physiques sous le contrôle de l’instinct, ont jeté les bases du développement de l’esprit. De la même manière, pour que l’évolution puisse progresser, l’esprit chez l’homme devrait préparer intelligemment l’entrée en expression de la spiritualité. À cette fin, l’esprit doit garder un contrôle strict sur les sens et les entraîner à répondre à des vibrations toujours plus élevées, sans jamais leur permettre de perturber l’intelligence humaine ou d’introduire dans le système des éléments qui attisent les passions. 

Cependant, chez la plupart des gens, les sens ne sont pas contrôlés par l’esprit, mais au contraire, l’esprit est dominé par les sens. Ainsi, les sens, ayant maîtrisé la raison, ont conduit l’homme à la poursuite du plaisir… et la luxure est devenue sa seconde nature. Au lieu d’être utilisé pour digérer les observations des sens au profit de la croissance spirituelle, l’esprit de la majorité est fait pour servir les sens et encourager ceux-ci dans une réponse aux vibrations les plus grossières. De cette manière l’esprit et les sens se sont combinés pour exciter les passions du corps. 

Au lieu de servir d’avant-postes d’observation pour le guidage de l’évolution spirituelle, les sens ont été enrôlés au service de l’auto-gratification sensorielle et sensuelle. Cela ne peut jamais être en harmonie avec l’évolution, car une telle gratification rend l’individu grossier au lieu de le raffiner ; et la lutte pour acquérir pour soi-même les moyens de gratification renforcent la séparation et s’oppose ainsi à l’unité spirituelle, objectif ultime de l’évolution.

En général, les sens ont usurpé une place au-delà de leur station… et dominé un organisme qui est fait pour des activités supérieures. La majorité non seulement s’est soumise à cette domination des sens, mais l’a encouragée en recherchant des satisfactions presque exclusivement par l’expérience sensible, et en privant l’homme intérieur de tout pouvoir afin de l’utiliser pour l’homme extérieur.  La faculté spirituelle … est fermée à la plupart des hommes par l’incrustation des sens.

Dans presque tous les domaines, les penchants des sens … sont tout à fait contraires à ceux de l’esprit ; s’ils sont soumis, ils émoussent la sensibilité à toutes les choses sublimes. 

Sous l’emprise des sens, tout le clavier des émotions peut être sollicité par des stimuli sensuels. Mais surtout dans le domaine du sexe, un pouvoir injustifié a été délégué aux sens physiques. Leur vigilance aux impressions stimulant le sexe a été encouragée et surdéveloppée par des âges de licence. En conséquence, le système sexuel est devenu artificiellement et indûment sensible aux impressions tactiles et olfactives, auditives et visuelles, et ainsi l’excitation sexuelle est fournie… par tous les organes sensoriels du corps… 

Fondamentalement, ce ne sont pas les sens qui sont à blâmer pour l’excitabilité anormale de la libido. La faute réside dans la manière dont les sens ont été utilisés, et dans la réponse mentale et émotionnelle aux impressions sensorielles. Chacun des sens physiques devrait être entraîné et développé au maximum dans son domaine particulier dans le but d’élargir sa conscience par l’observation consciente. Mais lorsque les activités d’un des sens sont utilisées comme un rappel et un stimulant d’autres sensations, et lorsqu’elles sont transformées en moyens de gratification sensuelle – alors il y a abus des facultés naturelles ; alors les sens sont développés à l’exclusion et au détriment des facultés supérieures ; alors l’évolution ne peut se poursuivre.

Toujours distinguer clairement entre une utilisation naturelle et une utilisation non naturelle des sens physiques est un problème assez difficile car le monde des sens ainsi que le monde du corps est illusoire, sauf pour celui qui s’est échappé des convoitises charnelles. Jusqu’à ce que cela soit atteint, les perceptions des hommes sont faussées par leurs passions. Au moins un certain degré de perception spirituelle claire est essentiel à une discrimination juste. Mais les passions humaines et les sens physiques mal appliqués font toujours obstacle au développement des perceptions spirituelles. L’œil de l’homme sensuel est fermé à tout ce qui est transcendantal.

Tant que l’on n’a pas eu un aperçu d’un monde transcendantal subjectif ou objectif, il peut rester difficile de croire que quelque chose existe en dehors de ce qui est observable par les sens physiques. 

Pourtant, il est suffisamment connu que les possibilités d’observation par les sens physiques sont limitées. Assistés ou non par des appareils mécaniques, ces sens permettent de prendre conscience de divers champs étendus du monde extérieur – des champs qui diffèrent les uns des autres par leurs gammes de vibrations. Mais la somme totale de tous ces champs dont on peut au mieux prendre conscience par l’ensemble des sens est loin de couvrir la totalité du monde extérieur. Il est scientifiquement reconnu qu’entre et au-delà des gammes de vibrations connues par les sens, il existe des gammes plus larges auxquelles les organes sensoriels physiques ne peuvent répondre. 

Il n’y a cependant aucune raison logique de rejeter l’idée que l’homme, sans quitter le corps physique, puisse développer d’autres pouvoirs que ceux des sens physiques pour la perception de ce que ces sens ne peuvent percevoir. Mais rares sont ceux qui ont pu affirmer par expérience qu’il existe un pouvoir spirituel de voir, d’entendre, de sentir et de goûter – un pouvoir de perception directe dont le vulgaire n’a aucune idée et dont même les savants ignorent généralement l’existence. Rares sont ceux qui savent, par une expérience pleinement consciente, qu’il existe des beautés plus élevées que la vie sensorielle ne nous permet pas de connaître… C’est vers la vision de ces beautés que nous devons nous élever, en laissant le sens à sa place inférieure.

Mais seul celui qui s’affranchit de l’assujettissement aux sens… peut être une personne de vision spirituelle. Et cela peut être réalisé par l’oubli des passions. C’est pourquoi les sages ne s’attardent pas sur les terrains de plaisir des sens. En effet, il n’y a jamais eu de sage qui n’ait dû rejeter les plaisirs des sens pour acquérir sa sagesse. Car ce n’est que si les sens sont bridés que l’intelligence augmente.

S’immuniser contre les attractions des sens, c’est inviter à s’exprimer les puissances spirituelles ; et plus l’esprit augmente en puissance, plus il se détache des objets sensibles. Il découvre alors qu’au-delà de toutes les sensations physiques, il existe une félicité en comparaison de laquelle les plaisirs des sens ne sont plus que des jouets pour enfants. Puis il connaît la joie sans limites qui se trouve au-delà des sens. 

Mais déjà bien avant d’avoir atteint ce stade, il devient clair que le vrai bonheur ne nous vient jamais par l’avenue des sens, et que même pour le bonheur simple la nature sensible de l’homme doit être subordonnée aux buts de l’esprit. L’homme doit mener une vie au-dessus des sens… s’élevant jusqu’à ce qu’il touche la région infinie de l’esprit.


Chapitre suivant :

16. L’inspiration.