L’extrême-droite a fait revivre un certain nombre de penseurs ésotériques et/ou fascistes, dont les idées ont acquis une portée de plus en plus répandue ces dernières années. Par l’intermédiaire de ces penseurs, l’extrême droite s’est approprié des éléments de la philosophie hindoue et a développé une pensée qui partage certains points communs idéologiques avec le nationalisme hindou. Le mouvement invoque couramment, souvent de manière semi-ironique et extrêmement drôle, une philosophie « new age » qui va des origines semi-divines des Aryens jusqu’à l’annonce de la fin du monde.

Tout a commencé avec Friedrich Schlegel (1772-1829) qui s’est appuyé sur les similitudes entre les langues de l’Europe du Nord et de l’Inde pour postuler qu’une ancienne race supérieure originaire du nord de l’Inde – les Aryens – avait déferlé sur l’Occident, fondant les grandes civilisations du monde. Ce récit permet de donner aux européens une origine non-biblique, et donc « non-sémitique ». L’idée d’une « patrie aryenne préhistorique » a été développé par Bal Gangadhar Tilak (1856 – 1920), qui démontre que les textes sacrés hindous – les Vedas – ont été écrits par les descendants d’anciens Aryens. Ses études des Vedas suggèrent qu’il y a environ 10 000 ans, les Aryens avaient existé dans une civilisation spirituellement supérieure dans l’Arctique, qui s’est perdue dans un exode vers le sud avec le début de la période glaciaire. Pour Tilak, la vitalité et la supériorité des Aryens, prouvées par « leur conquête, par extermination ou assimilation, des races non aryennes avec lesquelles ils sont entrés en contact », s’explique par le « haut degré de civilisation de leur foyer arctique originel ».
La théorie de la patrie arctique aryenne de Tilak a été adoptée par des penseurs occidentaux comme l’italien Julius Evola (1898-1974), qui désignait cette patrie indo-européenne mythique par le terme « Hyperborée ». L’une des conséquences de la revendication d’un héritage aryen indo-européen est qu’elle permet aux fascistes occidentaux de se réapproprier des croyances religieuses indiennes comme une renaissance de leur propre tradition culturelle. La « Tradition » purement occidentale étant perdue pour toujours et à jamais, du fait de la christianisation de l’Europe (et donc, de sa sémitisation), il est toutefois possible de retrouver la Tradition Primordiale, dans l’étude des concepts hindous tels qu’interprétés par le philosophe français René Guénon (1886-1951). Guénon soutient en effet qu’il existe au-delà du monde matériel une vérité métaphysique (la Tradition). Guénon adopte notamment le concept védique des yugas – quatre époques cycliques – et considère que l’humanité traverse le Kali Yuga (ou âge sombre), une période d’éloignement spirituel de la Tradition.
Guénon a eu une grande influence sur Evola, qui, lui, a développé un traditionalisme plus « hiérarchique ». Evola pense que depuis que les Aryens hyperboréens ont quitté leur terre arctique, l’humanité a connu un lent déclin. Rejetant le christianisme comme une religion sémitique de bas étage (ce en quoi il a parfaitement raison), Evola considérait l’hindouisme comme enraciné dans des traditions aryennes intactes. La légitimité de l’hindouisme est évidente dans son système de castes, qu’Evola considère comme « l’incarnation des idées métaphysiques de stabilité et de justice ». Evola a une influence majeure sur la Nouvelle Droite Européenne, le mouvement néo-réactionnaire et par la suite, « l’alt-right ».
L’extrême-droite interprète l’apparition du libéralisme progressiste comme une preuve du déclin cosmique, et la lutte réactionnaire contre celui-ci comme une bataille du bien contre le mal. Et dans ce domaine, C’est Savitri Devi (1905-1982) qui a écrit le plus sur ce « combat » entre forces contraires. Elle mélange culte hitlérien et traditions hindoues dans une nouvelle pensée connue sous le nom d’« hitlérisme ésotérique ». Française, elle s’installe en Inde au début des années 30 et adopte l’hindouisme comme un authentique paganisme aryen. Elle en vint à considérer le Troisième Reich comme la renaissance du paganisme indo-européen et aryen dans le monde occidental, Elle pensait qu’Hitler était l’avant-dernier avatar de Vishnu, envoyé pour combattre les forces matérialistes démoniaques de l’âge des ténèbres (qu’elle appelle le règne du Juif).
De manière assez inattendue, en quelques années, tous ces auteurs ont connu un regain d’intérêt à travers un mélange d’excentricité, d’ésotérisme et d’espièglerie qui mêlent Hitler, Pepe la Grenouille et Vishnu.

Entre ironie ludique, croyance authentique, ou pour le plaisir de se moquer des gauchistes avec des références mystiques qu’ils ne comprennent pas, l’extrême-droite surfe désormais de manière décontractée sur le Kali-Yuga.
En maîtrisant le jargon approprié et les mèmes qui vont avec, les jeunes blancs peuvent désormais signaler leur appartenance à un groupe, ce qui contribue à les relier à quelque chose de plus grand qu’eux. La mythologie indo-aryenne relie les hommes blancs à une lignée supérieure ayant une histoire glorieuse, et la référence au Kali Yuga permet aux jeunes internautes de se rassembler pour mener un combat transcendant contre le mal, ce que le « nationalisme » (y compris le « nationalisme blanc »), le Catholicisme, ou toute autre doctrine politique, sociale ou religieuse, n’arrive plus à faire depuis bien longtemps.
En effet, même des « influenceurs » – pourtant considérés par les médias mainstream comme « extrême » façon Rochedy, Papacito, Marsault et Obertone – ne proposent que de « consommer du contenu de droite », et c’est largement insuffisant pour redonner vie à la jeunesse, car « acheter un magazine » ou « regarder une vidéo Youtube », c’est quand même moins sexy que de faire revivre la Tradition des castes et de protéger la lignée aryenne pour un nouvel âge d’or.
Vous l’aurez compris, l’avenir appartient plus au Chad « radicalisme aristocratique amoral tourné vers le suprémacisme racial paneuropéen » plutôt qu’au Virgin « Remigration ».
Ce qui m’amène aux les récentes évolutions du masculinisme, qui met l’accent sur l’autonomie, le dépassement de soi, la discipline, le dévouement et la douleur comme étant le véritable chemin vers la beauté. Étant donné que les idées masculinistes se recoupent (largement) avec les idées de droite ou d’extrême-droite, je pense qu’une convergence pourrait s’opérer dans quelques années. (En effet, il ne reste plus que les « fachos » et les « mascus » pour penser qu’un homme est… un homme et qu’une femme est… une femme. L’horreur, quasiment le nazisme). Et en raison de la tendance des médias grand public à qualifier d’« extrémiste » toute personne qui ne s’aligne pas sur les processus de pensée féministes ou gauchistes, nous serons de toute façon assimilés les uns aux autres.
La convergence semble se manifester à travers l’émergence de la théorie du « nationalisme à l’œuf cru » ou du BAPisme, ce joyeux mélange toxique de misogynie et de suprématie blanche, agrémenté de références pseudo-ésotérique à la Rome impériale, à la Grèce Antique, ou à l’hindouisme, mélangé à des mèmes ironiques d’extrême-droite et des images homoérotiques de bodybuilders.

Vous pouvez considérer que je raconte n’importe quoi, mais ce n’est pas facile d’essayer d’identifier les tendances de fonds de la prochaine décennie.
Mais imaginez une fusion entre la « droite alternative » et la (virulente) réaction masculiniste au triomphe des politiques féministes et LGBT : la masculinité et la féminité seraient étudiés dans leurs relations avec la politique, la culture, la société, et la sexualité. Il serait possible de faire renaître les groupements de guerriers et d’initiés masculins (ou féminins) qui aurait dominé les sociétés indo-européennes préchrétiennes. L’androsphère pourrait ainsi entraîner avec elle les mouvements d’extrême-droite dans des territoires inhabituels et inexplorés. Dans cette vision radicale et masculiniste, l’humanité retournerai vers cet âge disparu des dieux et des héros, dans lequel les hommes et les femmes agiraient conformément à leur destin biologique et civilisationnel. La « vraie liberté » résiderait ainsi dans la soumission aux hiérarchies biologiques. Aux hommes la puissance, aux femmes la beauté, aux enfants la transmission.
