Le Serpent Enroulé (6).

Dans cette série d’articles, je vous propose ma traduction en français du livre « The Coiled Serpent: A Philosophy of Conservation and Transmutation of Reproductive Energy », de C. J. Van Vliet.

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4. Évolution.


V

L’IMPASSE DE L’ÉVOLUTION HUMAINE

« La force de l’appétit sexuel… est incontestablement le grand obstacle à l’amélioration de la race ». 

– Newton. 

L’évolution humaine est au point mort depuis plusieurs milliers d’années. Aussi loin que nous puissions regarder dans l’histoire pour nous comparer aux éléments humains des anciennes civilisations, aucun progrès évolutif n’est perceptible. Nos corps se sont, au contraire, détériorés. Les qualités humaines ne se sont pas améliorées. Le caractère, les émotions et les motifs d’action sont restés sensiblement les mêmes. « Nos matériaux de connaissance ont augmenté, mais pas notre capacité intellectuelle ». La puissance intellectuelle de nos contemporains les plus intelligents ne dépasse pas celle d’un Homère ou d’un Hermès, ou de prétendus illuminés atlantes. Tout ce qui dépasse l’intellect moyen ne se produit encore que sporadiquement, s’en est presque négligeable. 

Puisque nous ne pouvons retracer aucun progrès notable dans l’évolution humaine au cours d’une période mesurable, on peut présumer qu’à un moment donné dans le passé, un obstacle apparemment insurmontable a été érigé qui a freiné notre évolution. Un facteur puissant a dû empêcher la force vitale de s’élever vers des débouchés nouveaux et plus élevés. 

Un examen même sommaire des progrès de l’expression de l’énergie vitale dans les véhicules préhumains et humains nous aidera à découvrir la nature et la cause de l’obstruction sur le chemin de notre évolution. 

Une différence fondamentale entre les divers stades de croissance évolutive réside dans la façon dont la force vitale est utilisée. Dans tous les organismes, du plus simple au plus compliqué, l’action de la force vitale est soutenue par la nutrition (qui, dans un sens plus large, inclut la respiration). Toutes les fonctions autres que la nutrition, au lieu de soutenir, consomment une partie de l’énergie vitale disponible.

Dans les créatures les plus petites et les plus simples, comme les bactéries unicellulaires, l’énergie de la vie n’est utilisée que d’une seule manière : dans une multiplication rapide. « Une bactérie n’est que matériel de reproduction ». Dans des conditions favorables, des centaines de milliards de spécimens peuvent naître d’un seul être, en l’espace de vingt-quatre heures.

À partir des êtres unicellulaires, la nature a progressivement évolué vers des créatures multicellulaires et complexes dans lesquelles des groupes de cellules sont différenciés à des fins particulières. Chez la méduse, par exemple, des parties de la surface du corps ont fait leur chemin et se sont développées pour devenir des extensions permettant de saisir et de sentir. D’autres cellules de la peau sont devenues réceptives aux impressions de lumière, préparant ce qui deviendra plus tard un œil. Il en va de même pour d’autres organes rudimentaires des sens. Dans le corps, un système musculaire naissant et un système nerveux encore diffus ont commencé à prendre forme. La croissance du corps, l’effort musculaire et la faculté naissante de perception du monde extérieur exigent une bonne part de l’énergie vitale qui, dans les formes les plus basses, était monopolisée par la reproduction. Au stade de la méduse, la reproduction est encore abondante, mais pas comparable à celle des bactéries. Une multiplication rapide reste nécessaire lorsque des facteurs destructeurs entraînent un taux élevé de décès accidentels, mais en règle générale, ce besoin diminue à mesure que l’évolution de la forme se poursuit et que des facultés nouvelles et plus élevées se développent. 

Au stade de l’organisation plus élaborée des reptiles, le changement fonctionnel le plus frappant qui s’impose alors comme ayant été accompli est la centralisation du système nerveux. La moelle épinière a été définitivement établie et, à l’extrémité de la tête de la moelle, le cervelet est prêt à enregistrer les impressions. Son fonctionnement et celui de l’ensemble du système nerveux amélioré ont nécessité une quantité supplémentaire d’énergie nerveuse. La nouvelle demande de cette forme spécialisée de la force vitale – qui devait à nouveau être prélevée sur ce qui, à des stades antérieurs, serait resté disponible pour le système reproducteur – a nécessairement entraîné un ralentissement de la reproduction. 

En remontant l’échelle des êtres jusqu’aux mammifères, nous constatons que le cerveau, ou cerveau antérieur, s’est développé dans une certaine mesure. Comme il a été dit plus haut, les reptiles possédaient le cervelet ou cerveau postérieur, mais ses activités sont considérées comme n’entrant pas dans la conscience. Dotés d’un cerveau, ne serait-ce que légèrement actif, les mammifères deviennent conscients des impressions sensorielles et, par conséquent, capables de réponses émotionnelles plus fortes aux impressions extérieures. De nouveau, avec l’introduction de ces nouvelles fonctions, l’énergie vitale est transférée des organes reproducteurs au cerveau, et la reproduction est considérablement réduite. 

Entre le stade d’évolution de l’animal le plus développé et celui de l’homme, il existe un fossé, pour autant que les connaissances scientifiques le permettent, une fente obscure insondable. Il semble que l’évolution, à ce stade, ait fait un saut soudain et audacieux, tout à fait à l’encontre de sa procédure graduelle habituelle. Avant de la suivre dans ce saut hypothétique à travers le canyon des chaînons manquants, il convient de jeter un regard critique sur le terrain parcouru. 

Le point qui ressort le plus est qu’à l’origine, le flux entier de l’énergie de la vie était dirigé vers la reproduction. Depuis cette époque, le principe de la reproduction a toujours eu la priorité sur la force vitale. Chaque nouvelle fonction des organismes en évolution ne pouvait être introduite qu’au prix d’une réduction de la reproduction. L’énergie nécessaire à chaque nouvelle acquisition évolutive devait être détournée de la tendance reproductive précédemment établie et transformée en d’autres modes d’expression. La force vitale devait être utilisée de plus en plus à des fins intérieures plutôt qu’extérieures. 

Tout au long du règne animal, ce processus a été facilité par le pouvoir absolu de l’instinct, qui guide infailliblement tous les animaux dans toutes leurs activités en harmonie avec le plan de l’évolution. L’animal est tenu de suivre cette direction parce qu’il n’a aucune faculté, aucun pouvoir propre qui lui permette de s’opposer à la volonté et au but de la nature.

Il était donc facile pour l’animal en évolution de céder une part de plus en plus grande de son énergie et de son activité reproductive aux besoins d’un niveau d’évolution de plus en plus élevé. 

Maintenant : nous en arrivons au stade humain. 

L’esprit, la raison, l’intellect, la conscience de soi sont les caractéristiques évolutives de l’espèce humaine. Grâce à un cerveau bien plus développé que celui de n’importe quel groupe du règne animal, ces nouveaux facteurs peuvent fonctionner chez l’homme. 

Le développement supplémentaire du cerveau a été rendu possible par la nature en instituant une longue période d’enfance, suivie d’années d’adolescence avant que la maturité ne soit pleinement atteinte. Pour tirer le meilleur parti des avantages et des possibilités de l’évolution, il est évident qu’en premier lieu, la jeunesse, jusqu’à la pleine maturité, doit conserver toute l’énergie de la vie pour le développement du corps et du cerveau.

Mais une fois la maturité atteinte, la loi de l’évolution ne cesse d’exiger de plus en plus d’énergie transmutée à chaque pas en avant. Pour l’adulte comme pour le jeune, pour le marié comme pour le célibataire, un nouveau progrès dans l’évolution ne peut être atteint qu’au prix d’une diminution de l’activité sexuelle. Chez certaines des espèces animales supérieures, cette activité avait déjà été réduite à un seul acte pendant la saison du rut, qui, dans de nombreux cas, ne se produit qu’une fois par an. Pour l’être humain, une réduction encore plus grande – une limitation aux rares occasions où la propagation est consciemment voulue – est nécessaire pour que l’évolution se poursuive. 

Dans le corps humain, la nature continue d’être généreuse avec la production de semences comme batterie de stockage de la force vitale. Mais, plus que jamais, la loi de l’évolution exige que, sauf pour une utilisation générative limitée, la force soit conservée dans le corps à des fins de régénération.

Pour l’humanité, cela a toujours été un problème des plus complexes. « L’homme est le premier produit de l’évolution à être capable de contrôler le destin de l’évolution ». Doté de pouvoirs de raisonnement, il doit décider seul de son comportement, sans être guidé par l’instinct. Doté d’un esprit, il est censé coopérer consciemment avec la nature dans la poursuite de son programme d’évolution. 

Malheureusement, l’humanité n’a jamais fait d’effort sérieux pour promouvoir son propre progrès. Au lieu d’utiliser le pouvoir de l’esprit pour comprendre les responsabilités qu’implique l’absence d’obéissance aveugle à l’instinct, l’humanité a refusé d’écouter, chaque fois qu’on lui rappelait les exigences de la loi de l’évolution. Il était tellement plus facile de prêter l’oreille aux incitations du désir, qui était un élément inconnu jusqu’au stade humain. C’est sans doute très peu de temps après avoir acquis la conscience mentale de soi et être devenu conscient de l’agitation des impulsions primitives que l’homme a commencé à utiliser l’esprit pour stimuler les désirs du corps. C’est ainsi qu’il a assouvi l’impulsion sexuelle presque négligeable qu’il a héritée du règne animal, jusqu’à ce qu’elle devienne un désir si fort qu’il a du mal à le contrôler. 

Surexcité par ce désir anormalement fort qu’il a lui-même créé, l’homme a cherché des moyens arbitraires de l’assouvir. Tout en réduisant la reproduction effective, il a découvert des moyens d’action sexuelle non reproductive. Mais chacun de ces actes, quelle que soit sa forme, est un mauvais usage du sexe et consomme une partie de la force vitale qui devrait être utilisée pour le soutien et le développement des facultés supérieures. « L’histoire du progrès de notre race montre clairement comment notre mouvement ascendant a été freiné… par ce mauvais usage ».

Au moment où l’humanité s’est habituée et s’est rendue dépendante aux actes sexuels sans but reproductif, à ce moment précis, elle a mis une impasse dans le cours de son évolution. Ce n’est que lorsque cette impasse sera levée que l’humanité, individuellement et collectivement, pourra avancer vers la réalisation des facultés et des pouvoirs supérieurs que l’évolution réserve à l’homme.


Chapitre suivant :

6. L’idéal.