9h. Sans passer par la salle de bain (ce serait se plier aux conventions d’hygiène imposées par le patriarcat), Léa descend prendre son petit-déjeuner au quinoa.
Dans les escaliers, elle croise son père, mais refuse de lui adresser la parole : c’est un mâle blanc de plus de 50 ans.
Léa entre dans une rame de la ligne 6, un exemplaire du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir sous le bras. Elle n’en est qu’à la page 12 mais elle a compris le principe : on ne naît pas femme, on le devient, sauf si on choisit de devenir non-binaire.
Dans le métro, même si « c’est très blanc, bonjour la diversité », aucun incident à signaler : pas de manspreadeurs, pas de frotteurs, pas de lecteurs de Zemmour ou de Finkielkraut. Elle est un peu déçue.
Son premier cours de la journée s’intitule « Inégalités : faut-il en finir avec le capitalisme ? Oui ». C’est passionnant : sur son Macbook, elle prend des notes à toute vitesse.
13 heures. Léa déjeune au restaurant universitaire avec quelques ami.e.s. À table, on échange d’abord des bonnes nouvelles : le prochain Spider Man sera transgenre, et dans le prochain film de Spielberg, Charles de Gaulle sera incarné par une actrice noire. « Un vrai pas en avant ».
Son amie Julie révèle ensuite le résultat de la dernière étude de l’asso féministe : dans les amphithéâtres, 58% des places au premier rang sont occupées par des hommes. L’humeur oscille alors entre joie et indignation (c’est surtout une joie de pouvoir être indigné).
Léa se le promet : elle fera de la lutte contre les inégalités spatiales dans les amphithéâtres son cheval de bataille.
Dans l’après-midi, Léa aperçoit Paul, qu’elle n’a pas vu depuis la 4ème. Des souvenirs lui reviennent. Il y a 10 ans, à une boum, Paul avait dansé avec elle… et l’avait embrassée. C’était son premier baiser. À l’époque, elle s’en était réjouie car elle l’avait toujours trouvé plutôt mignon. Mais maintenant elle se le demande : était-elle vraiment consentante ? Doit-elle aller voir un psy ? Porter plainte ? Tout raconter sur Twitter ?
De retour chez elle, Léa fait un tour sur Facebook. Elle partage une vidéo Brut qui explique chaque terme de l’acronyme « LGBTQQIP2SAA+ », un article de Slate « Pourquoi l’Islam est une religion profondément féministe », et une vidéo AJ+ qui démontre que Batman est « problématique ».
Elle tombe ensuite sur un thread qui se fout d’une étudiante féministe. C’est de l’appropriation culturelle car l’auteur, un mâle cisgenre, se met dans la tête d’une jeune femme. En 2022. En deux-mille-fucking-vingt-deux.
Elle signale les tweets (chaque tweet individuellement pout mieux attirer l’attention du modérateur) et ferme son ordi, furieuse. De manière générale, Léa pense que la lecture, il vaut mieux éviter, on peut tomber sur un écrivain pas de gauche.
Vers 21 heures, Léa retrouve deux amies dans un bar à Châtelet. Malheureusement, le patriarcat se manifeste ; elle se fait aborder par un moche.
« -Tu as un sourire magnifique, je peux t’offrir un verre ?
– Non mais tu as vu ta gueule gros porc machiste ? Allez dégage ! »
Léa est une femme forte, elle ne se laisse pas faire.
Plus tard, elle regrettera d’avoir réagi comme ça : elle n’aurait pas dû le traiter de gros porc, car c’est grossophobe, mais seulement de porc.
À minuit, elle est au lit. Une grosse journée l’attend demain car avec d’autres élèves, elle a prévu de bloquer la Fac pour lutter contre la haine, c’est-à-dire pour lutter contre ces gros connards beaufs détestables de droite.
Heureusement qu’il y a encore des gens comme elle, des gens qui ne restent pas les bras croisés face au fascisme. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, elle aurait été résistante, ça, elle en est sûre.