L’importance de Bronze Age Pervert.

Un article de Murtaza Hussain publié pour « UnHerd ».

On discute bien souvent de la droite radicale aux États-Unis, mais on la comprend rarement. Toute personne située à la droite du Parti républicain est généralement supposée être un skinhead, un redneck ou un nazi-révolutionnaire allemand. Pour ceux qui ont étudié l’extrême-droite, cependant, le tableau apparaît bien plus complexe. Un livre récent, « A World After Liberalism : Philosophers of the Radical Right », de Matthew Rose, propose une analyse des profils sérieux de plusieurs intellectuels de la droite radicale du 20e siècle, dont Oswald Spengler, Alain de Benoist et Samuel Francis.

« La droite radicale est le véritable « autre » de notre culture. Contrairement à la gauche radicale, ses auteurs ne se trouvent pas dans les programmes universitaires, et parfois même pas dans les bibliothèques universitaires », écrit Rose, spécialiste de la pensée religieuse moderne. « Nous les imaginons dans des cabanes de l’Idaho en train d’émettre sur des radios à ondes courtes, et non comme des érudits ou des artistes capables de lire le sanskrit ». Mais cette image est fausse. Que l’on soutienne ou déteste leurs idées, beaucoup de ces penseurs sont en effet profondément érudits, consacrant leur vie à étudier la condition humaine telle qu’ils la voient.

En lisant « A World After Liberalism : Philosophers of the Radical Right », un autre penseur de la droite radicale m’est venu à l’esprit, une figure contemporaine marginale pour le public mais qui se targue d’avoir des adeptes dévoués en ligne : « Bronze Age Pervert ». Connu sous le nom de « BAP », il s’est constitué une base de fans dévoués parmi les jeunes hommes – y compris des membres du personnel junior de la Maison Blanche de Trump – et a attiré l’attention de certains intellectuels conservateurs iconoclastes.

Après avoir lu le livre de Rose, j’ai décidé de me procurer enfin « Bronze Age Mindset », le manifeste auto-publié de BAP en 2018. Je voulais me faire une idée des perspectives de la droite radicale dans son combat contre le libéralisme aujourd’hui. Mais d’un point de vue personnel, je voulais aussi voir ce que tant de gens, y compris des jeunes hommes de couleur que je connais, trouvent de si radical dans ce livre.

À la base, Bronze Age Mindset porte sur la promotion de la force et de la vertu masculines comme moyen de provoquer un changement politique. Le monde actuel, selon son auteur, est englouti dans une forme de tyrannie décentralisée, dirigée par des « hommes-insectes » (une approximation grossière du « dernier homme » nietzschéen) ainsi que par des tyrans matriarcaux habilités par le féminisme et la démocratie. La beauté a été effacée de la société humaine et le monde naturel est corrompu.

Le partisan hypocrite du libéralisme, avec un physique d’homme faible doté d’une mauvaise conscience, « prétend être motivé par la compassion, mais est au contraire motivé par une haine titanesque de ce qui est beau (…) ». Dans un style influencé par les débats en ligne, BAP ponctue chacun de ses arguments philosophiques d’insultes, reprochant aux « bêtes obèses à forte teneur en fructose » de supprimer l’énergie masculine et d’agir en mauvaises gérants des trésors naturels de la Terre.

Dans le monde classique, dont BAP est épris, il affirme qu’un homme fort pouvait vivre jusqu’à son plein potentiel. Mais sous notre Léviathan moderne, une telle grandeur n’est pas possible. L’ordre libéral supprime la volonté masculine de puissance, utilisant le poids mort de la démocratie pour écraser la véritable élite masculine de chaque société occidentale. Dans cette dégradation des hommes forts réside la dégradation de la société dans son ensemble. Au fil du temps, toute la culture d’une société libérale devient un gigantesque monument à la morale d’esclave, exaltant la faiblesse et l’infirmité comme ses plus hautes valeurs. S’enfonçant de plus en plus dans la déchéance, la civilisation libérale est tout simplement prête à ce qu’une force extérieure lui donne finalement le coup de grâce.

Bronze Age Mindset est drôle et même étonnamment sentimental par moments. Dans un passage loufoque mémorable, il demande au lecteur d’imaginer une version de Mitt Romney « capable d’agir comme il en a l’air » – un homme d’aventure qui tente d’organiser un coup d’État aux États-Unis, couche avec la femme de Vladimir Poutine, puis meurt en combattant l’empire américain aux côtés de tribus sauvages en Afghanistan. L’expérience de pensée a pour but d’établir un lien sérieux entre les capacités physiques et la volonté de puissance qui s’est perdue dans le monde moderne.

Le livre alterne entre un dédain extrême pour les personnes d’autres cultures et d’autres races et de la sympathie ou même de l’admiration pour elles ; ce qui est constant, c’est son anti-féminisme extrême, qui, je le soupçonne, explique en grande partie son attrait pour les jeunes hommes. Il s’agit d’un livre ouvertement écrit par et pour les hommes, visant à les appeler à une conception particulière des hommes et de leur rôle dans le monde. D’un point de vue intellectuel, accuser simplement son œuvre d’être raciste ou misogyne ne sert à rien, même si ces termes s’imposeraient probablement dans un débat public, car BAP écrit consciemment depuis la perspective pré-libérale de la civilisation classique, où de tels termes n’avaient aucune signification.

Une question plus intéressante est de savoir si la croyance fondamentale de BAP – selon laquelle une masculinité résurgente se lèvera inévitablement et brisera les fondements de la société libérale – a un sens au 21e siècle. En le lisant, on doit conclure que non. Prisonnier de sa nostalgie de l’Âge du bronze, le livre ne tient pas compte de la variable la plus importante qui régit les affaires humaines : la technologie.

Dans le passé, comme le livre l’indique, la force physique et la volonté masculine étaient les principaux déterminants des résultats politiques. Mais dans le monde moderne, le lien entre les prouesses physiques et la capacité à exercer le pouvoir a été rompu. Il n’est pas nécessaire d’avoir une grande force ou un grand courage pour appuyer sur le bouton de tir d’un drone, l’arme emblématique du 21e siècle. Aucune vertu masculine ne sera nécessaire pour faire fonctionner les robots terrestres armés du futur proche. Même une réticence de base à prendre la vie peut être surmontée grâce à une technologie qui dissimule l’humanité de ceux qui sont ciblés, ou grâce à de nouvelles armes qui tuent de manière autonome sans avoir besoin de l’intervention humaine.

Mais le déclin du rôle de l’homme dans le monde va plus loin que la guerre. Aujourd’hui encore, les progressistes planifient consciemment un avenir où les fonctions procréatrices les plus fondamentales des hommes pourront être rendues obsolètes par le génie génétique. Comme les religieux réfractaires dans « Les particules élémentaires » de Michel Houellebecq, je trouve une telle possibilité inquiétante, et je m’attends à ce que beaucoup d’autres personnes dans le monde aient le même avis. Mais notre malaise n’arrêtera pas la marche de la technologie. BAP ne fait aucune tentative pour s’attaquer à l’une de ces dynamiques. C’est un étudiant autodidacte de l’histoire qui a tellement de mépris pour le présent qu’il l’analyse à peine.

Bronze Age Mindset puise au hasard dans des domaines aussi divers que la biologie environnementale, l’histoire politique, la zoologie, l’occultisme et la théologie, tout en faisant preuve d’un engagement décevant envers la rigueur intellectuelle. C’est un livre « d’exhortation », dit BAP à ses lecteurs dès le début, ce qui est clairement vrai. Il termine son ouvrage par un appel à la révolution contre le Léviathan mondial, suivi d’une « ère de haute piraterie » dirigée par des hommes physiquement puissants et impitoyables.

BAP est à peu près l’équivalent masculin blanc d’un « hotep » afro-américain, qui utilise une version piochée de l’histoire ancienne et moderne pour atteindre son objectif principal, qui est de remonter le moral des jeunes hommes désabusés de son groupe cible. Bien que son livre submerge le lecteur de faits et d’arguments superficiellement impressionnants, j’ai trouvé que beaucoup d’entre eux, après une inspection plus approfondie, étaient sauvagement réducteurs ou tout simplement faux. Sur des sujets de religion et de sociologie qui me sont familiers, je suis resté perplexe devant nombre de ses affirmations.

Le Léviathan auquel s’opposent BAP et les penseurs de la droite radicale plus âgés dont le profil est dressé par Rose dans son livre, montre des signes de sénescence. Mais contrairement à la fin de l’Union soviétique, il n’y a aujourd’hui aucun remplacement plausible à l’horizon. Même Rome a trébuché pendant des centaines d’années après Néron.

Mais si les penseurs de la droite radicale ne constituent peut-être pas une menace sérieuse pour le libéralisme, les étudier offre un avantage tangible : une compréhension plus profonde de la condition humaine. La popularité culte d’un livre comme Bronze Age Mindset, qui rappelle les jeunes hommes à un fantasme atavique d’eux-mêmes, nous aide également à voir à quel point beaucoup d’entre eux se sentent à la dérive dans le monde moderne. La droite radicale n’est pas un mouvement avec lequel il faut flirter. Mais l’étude de ses penseurs peut nous aider à voir les lignes de faille qui existent profondément sous le monde que nous tenons pour acquis.