Que le féminisme militant fasse aujourd’hui partie intégrante de l’idéologie dominante – bien qu’avec des raisons importantes de désalignement, il suffit de penser aux conflits avec les revendications des personnes transgenres – est un fait qui serait difficile à contester. Sa volonté de morceler la société en autant de niches sociologiques contradictoires, son esprit de revendication rancunier et victimaire, sa haine du mâle et du père, sa logique des « droits à », son esprit inquisiteur et délirant, sa tendance à la dépolitisation – autant d’éléments qui placent le féminisme militant au cœur du pire esprit de l’époque.
L’antiféminisme de la droite réactionnaire.
Et pourtant, plus le temps passe, plus ce constat semble ne pas suffire à expliquer les questions des relations hommes-femmes. Plus le temps passe, plus la critique du féminisme, à elle seule, semble manquer d’exutoire. Au contraire, elle semble montrer de plus en plus ses limites, surtout dans ce monde politique et culturel alternatif à la gauche, qui trouve son premier et dernier mot en la matière dans l’antiféminisme conventionnel, aux tons de plus en plus sinistres et aux vues de plus en plus limitées au fil du temps. Ce recul est également typique de la phase néo-réactionnaire que traverse aujourd’hui la droite, qui semble avoir décidé de prendre la défense d’un passé récent et idéalisé vers lequel il faudrait revenir : un passé où les lieux étaient fixes, où nous étions « souverains », où il n’y avait pas tant d’étrangers et où, en fait, les femmes étaient « à leur place ». Un peu des années 1980, un peu des années 1880, mais en sautant les phases d’accélération et de modernisation entre les deux. Aux revendications de plus en plus bizarres et fanatiques du féminisme militant, nous voudrions répondre en prétendant que le féminisme n’a jamais existé, qu’il n’a jamais, dans aucune de ses phases, recueilli de revendications légitimes, que l’histoire peut revenir en arrière à volonté.
Antiféminisme ? Arrêtons avec la bigoterie confessionnelle.
Une certaine bigoterie fondamentaliste catholique contribue certainement à cette dérive qui, de toute façon, à droite, « fait l’opinion » et crée du bon sens même chez ceux qui n’ont pas de tendances confessionnelles marquées, se confondant même parfois avec certaines sympathies pro-islamiques qui, de la sacro-sainte sphère historique, géopolitique ou ésotérique, ont glissé avec le temps vers une acceptation aproblématique des valeurs de la charia comme modèle de société lumineux et souhaitable. Mais il y a plus : à ce mélange s’ajoutent de plus en plus de tendances et de paranoïas typiquement américaines, dont l’importation est favorisée par les réseaux sociaux. Pensons, par exemple, à certaines publications ironiques ouvertement misogynes empruntées à l’alt-right américaine, qui ne manque pas de flirter avec des sous-cultures délirantes, comme celle des incel, les « célibataires involontaires », jeunes hommes célibataires qui développent un ressentiment envers le monde féminin.
Et puis, se retrouvant sur Internet, ils coagulent cette frustration en une vision du monde réactionnaire visant à ramener le monde à une « tradition » imaginaire dont le principal mérite serait d’inhiber la faculté de choix sexuel des femmes et donc de garantir autoritairement un partenaire pour tous. Que ce genre d’idée fleurisse aux États-Unis n’est pas surprenant, l’Amérique étant par définition le pays des fous. Mais de plus en plus souvent, bien plus qu’on ne l’imagine, ils trouvent ici aussi un terrain fertile.
La femme fixe et l’homme immobile.
Il ressort de tout cela qu’une réflexion sur le sujet ne peut plus être reportée. Faire des sarcasmes sur les propositions délirantes d’un certain collectif féministe de l’université du Michigan ne suffit plus. Dans un livre publié il y a quelques années, « Contro l’eroticamente corretto » (Bietti), j’ai essayé d’encadrer tout le nœud des problèmes liés à la sexualité, à la famille, à l’homosexualité, au féminisme, à l’identité masculine et à l’identité féminine d’une manière non seulement critique, mais aussi proactive. L’homme et la femme, compris comme des concepts sociaux – ai-je expliqué – ne sont pas « donnés », mais doivent être construits. On ne répond pas aux folies idéologiques en dépoussiérant des catégories évidentes, naturelles, aproblématiques, mais en acceptant le défi et en repensant les rôles, les fonctions, les relations.
Il n’existe pas de « femme » fixe et éternelle, que le féminisme voudrait pervertir et sur laquelle il faut revenir, il n’existe pas non plus d’« homme » tout aussi immobile, mis en danger par la « nouvelle masculinité ». Même si (parfois légitimement) les modèles familiaux et sexuels de nos grands-parents peuvent sembler préférables à ceux en vogue aujourd’hui, il n’en demeure pas moins qu’ils ne reviendront pas. Il existe certainement des constantes anthropologiques et biologiques qui définissent les bases de l’identité masculine et féminine, mais les catégories culturelles et les modèles sociaux ont toujours fonctionné sur ce fond.
Ouvrir le débat, concrètement.
Si j’ai fait référence à l’un de mes livres, ce n’est pas par vanité ou par autopromotion, mais simplement parce que le discours est si vaste qu’il ne peut être épuisé dans un simple article. Afin de résumer brutalement les arguments ici et de ne pas laisser la provocation sans exutoire, je me limiterai à mentionner deux points : a) le rapport du mâle à la nature, à son statut de « loup », est à la fois nécessaire et problématique. Si l’idéologie dominante voudrait la supprimer purement et simplement, la tâche de ceux qui veulent la repenser doit plutôt consister à repenser un cadre de rites et de symboles pour sublimer cette identité ancestrale sans la nier ; b) l’identité féminine ne peut être pensée qu’au pluriel. À cet égard, je me réfère par exemple aux sept archétypes proposés par le psychologue jungien Jean Shinoda Bolen : Artémis, Athéna, Estia, Héra, Déméter, Perséphone et Aphrodite.
C’est en termes culturels ou « métaphysiques » qu’il faut penser. Si le discours semble trop abstrait, il est toutefois possible de prendre quelques mesures dans une direction plus concrète. Par exemple : au-delà de la rhétorique de Boldrini et des initiatives législatives bizarres et inutiles, est-il vraiment impossible d’ouvrir un débat sur la violence à l’égard des femmes, qui ne conduise certainement pas aux extrêmes ou aux reproches génériques typiques de l’approche dominante, mais qui reconnaisse au moins que le problème existe ? Nous avons besoin de moins de mèmes antiféministes et de plus de ce genre de questions. Bien que l’affichage du premier soit beaucoup plus pratique.
Source : « Perché l’anti-femminismo di maniera non può più bastarci », par Adriano Scianca, publié dans « Il Primato Nazionale » le 8 mars 2021.