Féminité et féminisme. La femme dans le monde de la Tradition. (Introduction).
Féminité et féminisme moderne. (Première partie : Lorsque meurt le mythe).
Féminité et féminisme moderne. (Deuxième partie : Le marché aux femmes).
Féminité et féminisme moderne. (Troisième partie : Les chemins de la perversion).
Les femmes de l’apocalypse. (Première partie : La crise du monde moderne).
Les femmes de l’apocalypse. (Deuxième partie : La prostituée de Babylone et la Vierge-Mère).
LE SABBAT DE L’AN 2000.
Le millénarisme révolutionnaire.
Tout ce que nous avons décrit jusqu’ici est, pour quelques-uns, une certitude, pour d’autres, une obscure intuition ; mais, c’est, pour tous, la source d’une gêne, d’un malaise, d’une révolte contre un avenir qui fait peur. On attend avec angoisse qu’il se passe « quelque chose » : l’avènement de la fameuse « ère du Verseau », la conquête de l’espace, la dictature du prolétariat ou le cataclysme de l’An 2000. S’insinue, à juste titre, chez beaucoup, la crainte de l’Apocalypse : on revient aux vieilles prophéties, ou relit Nostradamus, et des communautés hétéroclites, où l’on attend en priant la fin du millénaire et du monde, se constituent. On attend des arts occultes, des voyants et des soi-disant Messies un nouveau Verbe Divin qui se substitue, ou qui redonne vie, au vieux Logos qui a perdu son âme. On accepte avec résignation le verdict de l’astrologue A. Barbault qui, sur un graphique impressionnant, décrit la crise mondiale des années 80.
Mais, il s’agit là d’une attitude passive qui n’a pas d’incidence sur le monde contemporain, sinon en tant que fait de société sporadique. La situation revêt, par contre, des connotations actives, et même d’une épouvantable activité, chez des gens qui, bien qu’agités des mêmes angoisses, ne les apaisent pas grâce à une attente contemplative et piétiste, mais les subliment dans l’acceptation d’un plan providentiel pseudo-religieux au nom duquel « en Sa volonté est notre paix ». Ceux-là, et ils sont les plus nombreux, loin de projeter dans l’au-delà le soulagement de leur misère d’ici-bas, utilisent le canal plus réaliste d’une rage révolutionnaire sans frein.
Apparemment ignorants des conceptions de type apocalyptique, et même attachés à la vision la plus matérialiste de la réalité, ils n’en sont pas moins, à leur insu, les plus acharnés propagandistes du chiliasme a de l’An 2000.
La violence, la furie de désacralisation, l’affirmation névrotique d’idéaux que l’on espère atteindre à travers leur propre négation (l’idéal de la non-violence, en réalisant la suppression, par la violence, de quiconque exprime une opinion différente ; les guerres interminables au nom de la paix ; l’aspiration à la démocratie curieusement réalisée à travers la dictature) : tels sont les fléaux des modernes Cavaliers de l’Apocalypse.
En écrivant ceci, nous n’avons pas la présomption de croire qu’il s’agit là de quelque chose de nouveau : de semblables situations se sont souvent présentées, au cours de l’histoire, selon les mêmes modalités. Pour la plupart, elles ont fini par des bains de sang (souvenons-nous de l’Inquisition, de la Révolution française ou des horreurs de la dernière guerre) qui, même si nous n’avons aucune envie de les considérer avec Papini comme « purificatrices », ne peuvent pas être définies comme réellement apocalyptiques — ne serait-ce que pour le simple fait que, comme chacun peut le voir, le monde est toujours sur pied malgré toutes ses misères : il n’y a pas eu, du moins au sens littéral, de « fin du monde ».
Mais, il y a, de nos jours, quelque chose de plus. Les Anciens se bornaient à collaborer avec les Forces du Bien contre les Forces du Mal, et, tant que l’initiative de l’Apocalypse était laissée an Bon Dieu ou à Belzébuth, on pouvait dormir relativement tranquilles. Aujourd’hui, par contre, le fanatisme apocalyptique relève de la volonté des hommes, ou plutôt, des femmes. Et, par-delà l’ironie facile, et rabâchée à satiété, quant à leur parenté avec le démon, il nous faut bien constater que le mouvement féministe, par l’ampleur et la résonance qu’il est destiné à prendre (ne s’adressant pas à des petits groupes corporatifs, ni au patriotisme étriqué des nations, mais aux femmes du monde entier) et par sa mission, dont il ne fait pas mystère, de révolution culturelle, le féminisme, donc, se présente comme le mouvement messianique le plus formidable dont l’histoire se souvienne — formidable, également, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire « épouvantable ».
Le moment est donc venu d’examiner les différents aspects de l’ancienne et de la nouvelle frénésie de l’Apocalypse, afin de préciser à l’intérieur de quelles limites se situe le féminisme de l’An 2000.
Les sectes de Satan.
On le sait, il existe une antique prophétie d’origine judéo-chrétienne que l’on retrouve en filigrane au long des siècles et qui ressurgit de façon imprévisible aux époques parfois les plus inattendues de l’histoire.
Il s’agit de la prédiction de l’avènement d’un fabuleux millénaire qui ramènera à l’Age d’Or à l’issue d’un effroyable cataclysme, d’un Dies Irae qui verra la terre se fendre et les cieux éteints se retirer. Selon la prophétie, la catastrophe sera l’œuvre des forces du Bien afin de punir les méchants et les oppresseurs ou, plutôt, la puissance satanique incarnée en eux. Le songe de Daniel, les prophéties apocalyptiques d’Ezra, de Baruch, de saint Jean, parlent en effet d’un pouvoir impie et malfaisant qui s’instaure sur terre, atteint le summum de la cruauté et de l’oppression et s’attire ainsi fatalement la vengeance du Seigneur — lequel, avec l’aide de merveilleuses légions d’anges, restaurera ta justice en exterminant les damnés et en récompensant les ex-opprimés, promus au rang de peuple élu, du gouvernement terrestre. « C’est par cette chimère que l’apocalyptique juive et ses nombreux dérivés devaient exercer une incomparable fascination sur tant d’insurgés, sur tant de mécontents à venir, et ceci bien que les Juifs eu eussent, pour leur part, oublié jusqu’à l’existence ».
Mais le Christianisme des origines apparaît lui aussi fortement imprégné de la même ferveur eschatologique. N’en est pas exempt un Lactance par exemple ; quant à Commodien, il la prêche, décrivant un Christ aux traits guerriers, prenant la tête d’armées déchaînées et pillardes qui vont mettre en déroute l’Antéchrist — première allusion à la guerre sainte.
Cette atmosphère d’attente chronique se répandit et se développa surtout en Europe, au Moyen Age, lorsque les structures traditionnelles de la société commencèrent à se lézarder et, plus encore, lorsque perdit de sa vigueur la foi dans l’Église et dans l’Empire en tant que hiérophantes du divin. L’écroulement des croyances traditionnelles, aujourd’hui comme hier, avait laissé derrière lui une sensation diffuse de malaise qui alimenta les rêves des déshérités et les conforta dans l’illusion de la vengeance et du triomphe, au point d’exploser en vastes mouvements révolutionnaires débordant d’espérances et de haines sans limites. Le mythe de l’Apocalypse est né, en fait, de l’angoisse, de l’impuissance, de l’espérance insensée en une révolution thaumaturgique qui se transforme en une mission sociale cohérente.
« Le prolétariat rural ou urbain (paysans déshérités ou incapables de subvenir à leurs propres besoins, mendiants, vagabonds, journaliers et manœuvres, chômeurs et ouvriers menacés de chômage), tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ne pouvaient parvenir à un statut stable et reconnu, vivaient dans un état de frustration et d’anxiété perpétuelles qui en faisaient l’élément le plus instable et le plus impulsif de la société médiévale » et aussi, pourrions-nous ajouter, dans la société moderne. « Le moindre sujet de trouble, de terreur, ou d’enthousiasme — révolte ou révolution (…) — agissait sur eux avec une acuité particulière et suscitait des réactions singulières violentes. Leur premier réflexe, face à cette triste condition, fut de se constituer en groupes salutistes sous l’égide d’individus d’une sainteté peu commune à leurs yeux », qui les aurait conduits pour exterminer l’archidiable — démoniaque bouc-émissaire sorti tout droit de leur imagination. Le « saint » homme ne l’était cependant pas au sens littéral du terme : il pouvait les entraîner à la bataille, au stupre, à la violence au nom du dieu inconnu de l’Apocalypse (aujourd’hui, on pourrait dire « au nom de l’Idée », quelle qu’elle soit) — comme le prouvent les horribles exactions perpétrées en Terre Sainte par les Tafurs, groupe « salutiste » apocalyptique qui en arrivait même à se nourrir des cadavres de ses ennemis.
La plupart du temps, ce chef était un laïc « ou un moine défroqué qui s’imposait non seulement comme saint homme, mais aussi comme prophète et sauveur, sinon comme Dieu vivant. Arguant des révélations ou des pensées inspirées qu’il prétendait tenir de Dieu, ce chef assignait à ses disciples une mission collective d’importance cosmique. La certitude de cette mission, et de l’élection divine pour des tâches prodigieuses, dotait ces hommes déçus et désemparés de points de repères stables et d’espoirs nouveaux. Non seulement ils trouvaient ainsi une place dans le monde, mais cette place unique et rayonnante se situait au centre des choses. (…). En outre, la mission qui fascinait le plus ces masses devait naturellement trouver son couronnement dans la transformation radicale de la société ». Tant qu’ils restaient liés à leur chef, ils devenaient « plus qu’humains. Les saints ne pouvaient ni faillir ni pécher. Le triomphe final de cette armée de lumière vêtue de lin d’une blancheur parfaite (Apocalypse, XIX, 14) était décidé de toute éternité. En attendant, chacun de leurs actes (vol, viol ou massacre) n’avait rien de coupable : c’étaient actes de Saints »
Ce processus se répétait « chaque fois dans des circonstances semblables : essor démographique, industrialisation accélérée, affaiblissement ou disparition des liens sociaux traditionnels (…) » (c’est nous qui le soulignons). « Alors, chacune de ces régions, l’une après l’autre, voyait un sentiment collectif d’impuissance, d’angoisse et d’envie se donner libre cours. Ces hommes éprouvaient le besoin pressant de frapper l’infidèle afin de redonner corps, par la souffrance infligée aussi bien que subie, à ce royaume ultime où les Saints, assemblés autour de la grande figure protectrice de leur Messie, jouiraient d’une richesse, d’un confort, d’une sécurité et d’une puissance éternels ».
Il y a vingt ans de cela. Norman Colin relevait les mêmes fantasmes millénaristes à la base des mouvements totalitaires qui inaugurèrent le présent siècle : le nazisme et le communisme, « avec leurs chefs messianiques, leurs mirages millénaristes et leurs boucs émissaires », et il précisait : « C’est donc un fait que nazisme et communisme, en dépit de leurs différences évidentes, ont comme inspiration commune une tradition apocalyptique très ancienne. Dans les deux cas, le mouvement (et, plus particulièrement, le cercle très restreint d’authentiques fanatiques qui le dirige) se considère comme une élite chargée de la mission de conduire l’histoire jusqu’à son couronnement et d’instaurer le Millénaire en renversant une tyrannie mondiale. Et dans les deux cas aussi, l’obsession apocalyptique se manifeste en mie vision du monde contemporain complètement déformée.
Pour les nazis, quiconque tentait de s’opposer à leur projet de domination mondiale était, pour cela même, infecté d”esprit juif, un agent de la conspiration mondiale hébraïque (…) Pour les communistes, quiconque tente de s’opposer à leur projet de révolution mondiale, qui doit nécessairement s’accomplir sous leur égide, est, pour cela même, infecté d”esprit bourgeois’, un laquais de l’impérialisme, même s’il a passé son existence à lutter et à souffrir pour la justice sociale (…) Historiquement, ces fanatismes modernes sont une reprise, à plus grande échelle et sous une forme sécularisée, de rêves aussi vieux que le monde qui tournent autour des douleurs messianiques, de la lutte apocalyptique et de l’avènement du Millénaire ».
C’est ainsi que nous sommes arrivés à l’époque qui est la nôtre. Mais rien n’a changé : en face de l’Apocalypse, les hommes sont toujours les mêmes.
Les Amazones de l’Apocalypse.
Les éléments mis en relief par Cohn peuvent aisément être retrouvés dans les actuels mouvements de masse qui, sous une forme encore plus exaspérée et fanatique, en proposent à nouveau les modalités : les idéologies des divers mouvements sociaux militants sont devenues le succédané des idéaux révolutionnaires eschatologiques à l’issue de l’écroulement général des rapports et des valeurs traditionnels.
Tous les éléments qui, au Moyen Age (et même après), favorisaient la diffusion du fanatisme apocalyptique (malaise, déracinement, recherche tourmentée d’une finalité à l’existence, désir de sécurité, d’une dignification de l’existence humaine) sont présents à l’état chronique dans le monde moderne — aggravés de nos jours par la prise de conscience, confirmée par la science, d’un possible désastre écologique, d’une imminente catastrophe nucléaire, d’une épouvantable crise due à la surpopulation. Les plaies épidémiques du Moyen de l’époque contemporaine : elles s’appellent crise du pétrole, Biafra, chômage, cancer ou, joyeuse alternative à ce dernier, pollution radioactive et mort écologique — maux encore plus inéluctables, plus mystérieux et, partant, plus terribles que la peste.
Mais, tout ceci n’aurait pas suffi à déchaîner une véritable Apocalypse. On pouvait toujours évoquer les désagréments propres à toutes les « époques de transition », lorsque, une fois détruites les structures et les conceptions « dépassées », l’humanité s’apprêtait à enfanter dans la douleur de nouvelles valeurs et à instaurer de nouvelles traditions ; et les mouvements de masse de notre vingtième siècle se seraient, dans cette hypothèse, réduits à un imaginaire millénariste (un parmi tant d’autres) qui s’ajoutait à ceux du Moyen Age.
Mais, il ne s’agit pas de cela.
Les temps étaient mûrs pour l’« autre moitié du monde » : les femmes. Les bouleversements de masse ont mis à feu la bombe féministe.
Nous l’avons dit et répété : les couches sociales chez lesquelles, depuis toujours, la vocation apocalyptique désespérée et sauvage trouve son meilleur terrain sont celles des multitudes exploitées, opprimées et déshéritées, celles, pour citer une fois encore N. Colin, qui sont condamnées « à une insécurité chronique et par leur impuissance et leur vulnérabilité économiques, qu’aggravait l’absence des relations sociales traditionnelles (souligné par nous) sur lesquelles les paysans avaient pu compter, même aux époques les plus noires »
Prolétaires, chômeurs, sous-employés peuvent aujourd’hui se considérer affligés de la plupart de ces maux. Mais, celle qui les assume tous, qui les incarne depuis des millénaires, réprimant depuis des lustres sa révolte, c’est la femme — laquelle doit, en plus, prendre sur ses épaules le fardeau d’un père ou d’un mari mal embouché qui augmente d’autant le poids de sa propre oppression.
Ce n’est pas ici le lieu de discuter de la réalité d’une telle situation ni de savoir si elle est le lot de toutes les femmes ; quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est qu’à partir du moment où s’évanouit la finalité transcendante qui, dans le cadre d’une conception traditionnelle, constituait le sens et la fin de l’existence pour la femme, tout ce qui lui reste n’est qu’un fatras d’obligations privées de signification. Ce qui, jadis, était un sexe qu’il convenait de défendre et de protéger, parce que « sexe faible », est devenu aujourd’hui faible tout court, et doit se défendre tout seul.
El cette fatale faiblesse est le terrain le plus fertile pour les mythes apocalyptiques. Par ailleurs, le féminisme présente tous les traits du chiliasme révolutionnaire : il se prétend, de façon cabotine, protégé par un pouvoir mystérieux (les sorcières) auquel il voudrait s’identifier, et il charge l’homme des mêmes turpitudes que, par exemple, l’antisémitisme millénariste médiéval attribuait aux Juifs : sadisme, volupté de castration, sévices. « Insérés dans l’imaginaire eschatologique, le Juif et l’ecclésiastique devinrent les doucereuses figures d’un type absolument terrifiant (…) Les millénaristes (…) y voyaient un monstre de fureur destructrice et de puissance phallique ». Aujourd’hui, les féministes voient tout cela chez l’homme, lequel joue désormais, dans le drame eschatologique, le rôle du démon médiéval.
Les innombrables légions de femmes qui, dans le monde entier, ont identifié le mâle à la Grande Bête johannique, seront les propagatrices d’une nouvelle guerre sainte où elles feront exploser cette « rage » qui couve en elles depuis très longtemps.
Selon Spengler, l’ultime processus d’une civilisation matérialisée, désormais en pleine débâcle, consiste en l’irruption d’une spiritualité sauvage, la « seconde religiosité » (à laquelle appartient, pour nous, le néo-spiritualisme : la mystique apocalyptique du féminisme peut être considérée comme sa manifestation la plus achevée. C’est une moitié du monde qui se révolte contre l’autre en vue de détruire, plus que la vie, le sens de la vie, réduisant aussi à néant les liens élémentaires qui rattachaient encore l’humanité à sa forme biologique la plus simple : la sexuation.
Et voici que prend corps l’idée que, pour la première fois peut-être dans l’histoire, le mythe de l’Apocalypse pourra déboucher sur une véritable apocalypse avec comme toile de fond le paysage désolé d’une Terre à l’agonie.
Notre époque, fondée sur le paradoxe, aurait alors produit le paradoxe ultime, le plus fatal, grâce auquel, ironie du sort, il partira à la dérive. Revient à l’esprit le « rire des Dieux » qui assistent en s’esclaffant à la comédie humaine. Et, à vrai dire, rien ne peut être plus comique, pour un « spectateur olympien », que la vision de notre matérialisme, péniblement élaboré par deux mille ans d’histoire et qui, contre toute prévision humaine, donne naissance à une « médiévale » folie irrationaliste, le mysticisme eschatologique, avec lequel il s’autodétruit. Serait-ce la vengeance des sorcières ? Encore plus hilarant, si l’on songe aux précédents en la matière : Hésiode, déjà, il y a trois mille ans de cela, savait que Pandore, la première femme offerte à l’astucieux Prométhée et refusée par lui, avait, au contraire, été acceptée avec enthousiasme par Épiméthée, son niais de frère, symbole de l’humanité. C’est là que Zeus avait commencé à rire ! Et si les millénaires des hommes durent autant qu’une comédie, à l’échelle du temps des dieux, il faut croire que nous en sommes aujourd’hui à la farce. Le thème n’a pas changé, et les personnages sont restés les mêmes : Épiméthée et Pandore.
Si l’on réfléchit à tout ceci, le joyeux et truculent refrain « tremblez, tremblez, revoici les sorcières » — qui, sur les lèvres des adolescentes d’aujourd’hui, parvient, tout au plus, à évoquer de façon nostalgique les rondes enfantines — se charge alors de tonalités grotesques et macabres. Les sorcières sont de retour, certes, mais elles ne se sont pas incarnées dans les féministes : elles résident dans les rêves troubles, la rage de mettre en pièces et la folle course à l’autodestruction qui agitent aujourd’hui les femmes. Voici que se renouvelle le mythe virgilien de la Furie Aletto, douloureuse fille de la nuit, qui transforme l’angoisse d’Amata en fureur et en folie.
Les féministes arborent comme signe distinctif le hiéroglyphe alchimico-astrologique de Vénus, ou le triangle renversé, symbole antique des Eaux dissolvantes et du féminin. Mais elles ne songent même pas que derrière eux se cache l’éternel signe de Lilith, la Lune Noire, la première femme d’Adam, stérile, glaciale et prévaricatrice, qu’une mystérieuse Sagesse Divine chassa loin des deux diurnes pour habiter la Nuit et le chaos. « Des esprits que tu évoques », disait Goethe, « jamais plus tu ne pourras te libérer ».
Et reviennent à l’esprit les paroles du Necronomicon, un livre secret, détruit ou même qui n’a peut-être jamais existé. « Leurs mains sont sur votre gorge, et vous ne les voyez pas. Leur habitation est votre seuil si bien gardé. L’homme règne aujourd’hui là où Ils régnèrent autrefois ; mais bientôt Ils reviendront là où l’homme régnait. Après l’été vient l’hiver et après l’hiver, l’été. Ils attendent patiemment en leur puissance, sachant que c’est ici qu’ils reviendront ».
Qui sont-« Ils » ? Les anges du nouvel âge, produits de la nouvelle civilisation — ou les forces ténébreuses de l’Apocalypse ?
Source : « Femminilità e femminismo. Saggio sulla Donna nel Mondo della Tradizione », ouvrage d’ Edy Minguzzi publié à Gênes en 1980.