Féminité et féminisme moderne (III).

Féminité et féminisme. La femme dans le monde de la Tradition. (Introduction).

Féminité et féminisme. La féminité dans la tradition primordiale. (Première partie : Le monde de la tradition).

Féminité et féminisme. La féminité dans la tradition primordiale. (Deuxième partie : L’homme et la femme comme polarité cosmique).

Féminité et féminisme. La féminité dans la tradition primordiale. (Troisième partie : Les quatre âges de la femme).

Féminité et féminisme. La féminité dans la tradition primordiale. (Quatrième partie : L’histoire au féminin).

Féminité et féminisme. La féminité dans la tradition primordiale. (Cinquième partie : Les sorcières. Les visages de la sorcière).

Féminité et féminisme moderne. (Première partie : Lorsque meurt le mythe).

Féminité et féminisme moderne. (Deuxième partie : Le marché aux femmes).


LES CHEMINS DE LA PERVERSION.

Requiem pour le subconscient.

Mais, qui nous assure que la Genèse, telle que la décrit Freud, soit exacte ? Engels, par exemple, avait affirmé que seul un certain type de société a commencé par le patriarcat ; la société capitaliste. Avant elle, dans celle qui, pour Marx, est « l’âge de la chasse et de la pêche », était en place un régime communautaire à tendances carrément matriarcales où il revenait aux femmes de choisir les chefs et où, dans la promiscuité la plus totale, la polyandrie faisait pendant à la polygamie — et où tout appartenait à tous. 

Mais ensuite, selon le schéma fameux décrit par Marx, voici qu’arrive l’agriculture et, avec elle, la propriété privée : d’où l’accumulation des biens et la nécessité de les transmettre à ses enfants ; c’est ainsi, en vertu du principe selon lequel « mater certa est », qu’apparaissent la monogamie, le châtiment de l’adultère féminin et, d’une façon générale, la répression de la femme. En somme, la société « classiste » aurait précédé la société « sexiste » -— et non l’inverse, comme le soutiendra Freud. Qu’importe, car les résultats sont identiques : que ce soit en vertu de la possession du pénis ou en vertu de la détention du capital, l’homme est destiné à commander. Ce qu’il faudrait éclaircir, c’est la raison pour laquelle le pénis lui confère une telle suprématie et pour quel motif l’homme — et non la femme — fut le premier à s’assurer du capital. Mais c’est une question à laquelle, habituellement, on ne répond pas car, en ce cas, il faudrait se référer à la signification métaphysique de la virilité comme Être et comme Forme —ce qui n’est pas « scientifique ». Il faut donc s’en tenir au réel. Or, comment notre société se présente-t-elle ? Toute à la fois sexiste et fondée sur la lutte des classes. La reconnaissance de la triade Patriarcat-Capitalisme- infériorité féminine comme originelle conférerait ainsi à la lutte féministe un caractère politique. En détruisant le capitalisme, on élimine automatiquement les deux autres horreurs et l’on revient au stade idéal de ta chasse-pêche, remis, bien entendu, au goût du jour : il suffit de créer une autre situation économique à laquelle correspondra forcément une métamorphose sociale : les lois de la vie en société changeront quand on substituera au capitalisme le collectivisme. 

Mais les freudiens n’en démordent pas : si l’on renverse aussi le système politique sur lequel se règle le patriarcat, celui-ci perdurera éternellement car l’inconscient de tout homme conserve en lui de façon héréditaire les lois sociales de l’humanité tout entière. Et ces lois, quelle que soit leur origine, sont patriarcales : personne ne saurait le mettre en doute. 

« Sans l’hypothèse d’une âme collective, d’une continuité de la vie psychique de l’homme, qui permet de ne pas tenir compte des interruptions des actes psychiques résultant de la disparition des existences individuelles, la psychologie collective, la psychologie des peuples ne saurait exister. Si les processus psychiques d’une génération ne se transmettaient pas à une autre, ne se continuaient pas dans une autre, chacune serait obligée de recommencer son apprentissage de la vie, ce qui exclurait tout progrès et tout développement » (Freud).

Il serait passionnant de savoir comment cette conscience atavique se transmet et si tout se réduit au domaine physique et à la matérialité : est-ce un fait chromosomique ? Appartient-elle à l’instinct ? Au conditionnement ambiant ? Peut-être se terre-t-elle dans ces fameux neuf dixièmes du cerveau dont aujourd’hui encore on ignore la fonction ? En ce cas, on peut soumettre le problème aux parapsychologues, ces hommes de science experts en missions impossibles et mandatés, semble-t-il, pour résoudre toutes les questions que se pose notre siècle. A moins que n’y interviennent les archétypes de Jung — eux dont pourtant on ignore la provenance ? 

Quel que soit le canal qui les transmet à la mémoire des générations successives, il paraît établi que l’infâme système phallocratique, à en croire les freudiens, soit destiné à revenir inéluctablement, à l’instar des Héraclides, s’imposant toujours à nouveau en affirmant catégoriquement, avec la ténacité du Dieu de Manzoni : « Et pourtant, je suis ». 

Heureusement pour elles, les femmes sont douées de sens pratique et elles abandonnent à Galilée le soin de dialoguer sur les Systèmes Majeurs. Si l’inconscient nous contraint à la répétition, les féministes y coupent court en s’en débarrassant sous la houlette de W. Reich, dont nous verrons qu’il l’identifie à l’énergie sexuelle. Du reste, quel autre sens avait-il ? 

La civilisation qui a perdu tout contact avec le plan métaphysique n’offre pas davantage de meilleures garanties quant aux valeurs en lesquelles elle croit comme aux rôles qu’elle impose ; tout ceci n’est que le résultat d’une routine politico-sociale. Le subconscient se réduit à une pure habitude, la plus dure à vaincre peut-être, mais destinée de toute manière à se modifier avec le temps jusqu’à ce que mort s’ensuive car, aujourd’hui, la culture ne se transmet pas : elle se fait. C’est ainsi que s’évanouit l’ultime et moribond reliquat du psychisme dans une réalité désormais matérialisée. 

Si les disciples d’Averroès qualifiaient Pétrarque de « brave homme, et même de meilleur des hommes, quoique illettré et complètement idiot », les féministes renversent la formule pour l’appliquer à Freud en en faisant un « poète » astucieux et pervers — réduisant ainsi à néant toute prétention scientifique de la part de la psychanalyse : « Le génie de Freud était plus poétique que scientifique ; et ses idées plus efficaces comme métaphores que comme vérités littérales » (Firestone).

Muni de ce viatique, Freud devrait être plus ou moins mis au rancart : « Di te perduint, fugitive ».

Betty Friedan, Eva Figes, Shulamit Firestone, Kate Millett et Germaine Greer, ces porte-drapeaux du féminisme, en liquidant l’inconscient de pair avec Freud, affirment qu’au-delà des poétiques rêveries concernant les pères tués et dévorés, ce qui modèle l’individu et lui confère son rôle, c’est la société qui, à ce moment précis, l’environne : c’est pourquoi l’élément conditionnant n’est pas le subconscient mais la réalité sociale. Aucune femme n’aurait jamais imaginé quelle pourrait envier les organes génitaux tant vantés du sexe opposé ; il s’agit là d’une prétention vaniteuse des phallocrates de l’ère victorienne dont Freud est le représentant le plus… exhibitionniste. Ce pour quoi elle éprouve de l’envie, c’est, de façon plus rationnelle, la situation privilégiée de l’homme dans la société. D’où il s’ensuit que ceux qui affirment que la lutte est politique ont raison. 

Sexe et boîtes à rangement.

Avant d’engager la lutte de libération sur le plan politique, il est nécessaire de réaliser celle-ci sur le plan psychologique en se libérant des tabous, le premier d’entre tous étant le tabou sexuel. Le prophète de cette mission fut W. Reich, qui posa avec désinvolture l’équation subconscient – sexualité : le sexe est la manifestation, sur le plan biologique, d’une énergie cosmique, comparable à l’électricité, qui explose lors de l’orgasme et que Reich appelle « l’orgone ».

Le subconscient n’est donc rien d’autre que le réceptacle d’une telle énergie et, se trouvant ainsi réduit au rôle de condensateur, est désormais mis hors d’état de nuire pour les siècles à venir. 

Les frustrations, les inhibitions, les névroses, les psychoses, l’hystérie, la schizophrénie et la totalité des complexes sont exclusivement dus à la répression sexuelle qui crée une « cuirasse », un barrage défensif du moi ; dans cette cuirasse, l’orgone est prise au piège, étouffée, et, dans la meilleure des hypothèses, donne naissance soit au sadisme, soit au masochisme — inhérents, l’un au caractère phallocratique et tortionnaire, l’autre à l’esprit de dévouement et de sacrifice. La regrettable dichotomie entre le pôle masculin et le pôle féminin provient bien de là : de ne pas avoir jeté bas les « cuirasses » en laissant libre cours aux décharges de l’orgasme. Mais ce n’est pas tout : les dégâts ne se limitent pas au seul plan social et psychologique, ils ont également une incidence sur la santé physique des individus. En effet, à force d’être réprimées, les énergies engorgées peuvent même provoquer la naissance de cancers, funestes produits de l’insatisfaisante ou de l’insuffisante activité sexuelle d’individus hypercuirassés. Animé d’un souci philanthropique en matière de justice sociale comme d’hygiène publique. Reich recommande, par conséquent, de jeter bas les « cuirasses » et de nous hâter, comme nous l’enseigne la nature, de militer activement en faveur de la révolution sexuelle et, simultanément, des luttes polico-sociaies. 

Incidemment, et à titre de confirmation de sa bonne foi, on peut rappeler que Reich paya de sa vie son infatigable activité au service du bien-être psychologique de l’humanité. 

Convaincu, bien entendu, que les « énergies » peuvent être isolées et enfermées dans de petites boîtes où l’on peut les conserver à des fins thérapeutiques, il se consacra à les attraper (il en voyait même ici et là à l’œil nu, par exemple dans les particules de la lumière solaire) et à les mettre en bouteilles et dans des récipients au profit des malades et de ceux qui souffrent. Aux États-Unis, où il s’était réfugié après avoir été expulsé de diverses parties du monde, son initiative ne fut pas comprise et le Prophète des Énergies fut honteusement jeté en prison, comme un vulgaire charlatan, où il mourut. Mais n’a-t-on pas coutume de considérer que les religions sont cimentées par le sang des martyrs ? 

Celle de Reich eut de nombreux adeptes, à tel point que des centres thérapeutiques portant fièrement son nom ont surgi un peu partout. Mais l’épisode des petites boîtes — fruit, peut-être, d’une longue réflexion sur les fameuses baignoires mesmériennes suintantes de « magnétisme animal » — ne fut que l’épilogue d’un itinéraire spirituel long et douloureux sur lequel les limites imposées au présent ouvrage ne permettent pas de s’arrêter. En ce qui nous concerne, nous retiendrons qu’on doit en substance à Reich : l’affirmation que le dualisme entre masculinité et féminité est dû à des conditionnements sociaux (puisque l’énergie de l’orgasme, comme l’électricité, est neutre eu par conséquent, égale pour les deux sexes) ; et, d’autre part, l’augure qu’une bonne décharge de l’orgasme réduise à néant les « cuirasses », ramenant à l’unité au nom de l’énergie vitale. 

Son idéal socio-sexuel est décrit textuellement comme suit : « Je songe aux filles sveltes et souples des mers du Sud dont un débauché de telle ou telle armée abuse [parce qu’il est « cuirassé », et ne sait pas apprécier l’amour sans inhibitions] ; filles qui ignorent que tu prends leur pur amour comme tu prendrais une putain dans un bordel.

Non, fillette, tu aspires à la vie qui n’a pas encore compris qu’elle est exploitée et méprisée. Mais ton heure approche ! (…) Dans 500 ou 1 000 ans, quand des filles et des garçons bien portants jouiront de l’amour et le protégeront, il ne restera de toi qu’un souvenir ridicule ». 

N’était-ce pas ce que déjà disaient les Anciens : « Mens sana in corpore sano » ? 

C’est ainsi que la femme, enfin libérée des tabous sexuels nocifs pour sa santé, peut se préparer à la lutte politique. 

Les castrées castrantes. 

C’est donc de là que date le début de la libération sexuelle des femmes, qui s’empressent de se dépouiller des « cuirasses » parmi lesquelles la première à tomber fut la pudeur. Lorsque les minijupes firent irruption dans les années soixante, ce fut au milieu de la joie ébahie et salace des hommes encore « cuirassés » auxquels il semblait que se déchirait le voile de Maïa. Mais une fois passés les premiers instants de curiosité malsaine, les hommes s’habituèrent à cette nudité, la considérant au bout du compte avec indifférence. Les faits démontrèrent que la signification de la pudeur était bien celle que lui attribuait la Tradition : décupler la tension magnétique en couvrant et en masquant le mystérieux pouvoir inscrit dans le corps féminin. Mais les mêmes faits confirmèrent les thèses de Reich : en découvrant et en dévoilant, le magnétisme se libère, il se « désature ». C’était tout à fait ce que désiraient les féministes. C’est un fait établi que cette mise « hors tension » générale a provoqué un affadissement de l’instinct sexuel. Il est fort possible que cela soit allé au-delà des prévisions de Reich, mais c’est une réalité : le fait de savoir que l’orgone est égale pour tous a annulé, de pair avec la discrimination entre homme et femme, la polarité magnétique et a contribué à la prolifération du troisième sexe. Effectivement, s’il n’y a pas besoin d’une complémentarité pour que s’exprime et qu’explose l’énergie sexuelle, l’hétérosexualité n’est plus nécessaire. Les deux sexes peuvent s’ignorer et poursuivre, chacun de son côté, la recherche de décharges orgasmiques libératrices. 

Quoi qu’il en soit, Reich n’est pas le seul défenseur de cette nouvelle éthique. L’homosexualité est le point focal autour duquel se cristallisent, de façon quasi fatale, les tendances les plus hétérogènes. 

Si les « reichiennes » y parviennent inconsciemment, il ne manque pas de femmes pour la prêcher et, alternativement avec l’auto-érotisme, la pratiquer — parvenant ainsi à la totale indépendance du mâle, y compris dans l’obtention du plaisir érotique : pour celles-ci, l’homosexualité est l’impératif catégorique de la nouvelle morale féminine. Pour les autres, reste la fuite devant ce qui, dans l’acte sexuel, leur apparaît comme la violence du mâle. 

Mais ou peut aussi déboucher sur le saphisme en exhumant le cadavre de Freud, revenu ainsi sur la scène par des voies inattendues. S’il est vrai que la femme souffre du désir insatisfait de posséder sa mère, son rapport avec les autres femmes peut prendre cette signification symbolique, la libérant en définitive du complexe, plus grave, d’infériorité. « Le fait que la sexualité féminine ait été canalisée, au cours des siècles, uniquement en direction de l’homme, dépend, selon nous, de l’interruption des rapports de la petite fille avec sa mère. Dans son rapport, même sexuel, avec les autres femmes, la femme retrouve finalement le rapport avec sa mère », déclare une des propagandistes de la nouvelle éthique homosexuelle. 

Toujours dans la foulée de Freud, se meuvent les « castrées œdipiennes » qui, refusant d’accepter le rôle féminin, se sont virilisées en s’identifiant à l’homme — ce qui, pour k. Abraham est une des solutions possibles du complexe de castration. C’est encore grâce à Freud que s’explique la démarche de celles qui, avec le saphisme, réalisent le retour à la phase préœdipienne — règne, ainsi que nous l’avons dit, du féminisme actif. Et pas seulement à travers le saphisme. La pratique de l’auto-érotisme est elle aussi considérée comme capitale dans le cadre de la libération du mâle comme du retour au « règne de la femme ». Le lien qui réunit ces deux « conquêtes » à l’enseigne de la masturbation (Freud en avait déjà eu l’intuition) tourne autour d’une vieille controverse, qui remonte aux années vingt, entre les mérites respectifs du vagin et du clitoris. « Pour que la petite fille devienne une femme, il faut (…) qu’il y ait passage, durant la puberté et l’âge adulte, de la domination préœdipienne du clitoris actif à la domination du vagin auquel le clitoris transmet sa sensibilité retrouvée. (…) Il s’agit (…) d’une évolution psychologique vers le ‘destin’ de femme et de mère ». En décrétant la suprématie du clitoris et de la masturbation clitoridienne, on évite le « glissement psychologique » et l’on échappe ainsi au destin d’épouse et de mère en fonction du mâle ; et, parallèlement, on interrompt le développement sexuel au gratifiant stade préœdipien. Et, faut-il le dire, on évite la pénétration phallique. 

Les conclusions qu’en tire le psychanalyste Cesare Musatti sont plutôt alarmantes pour les hommes. En effet, il affirme qu’il s’agit de « femmes castrantes », spécifiant que « l’indifférenciation des sexes produira une diminution générale de l’attraction réciproque », qui sera le point de départ d’une pure et simple mutation physique : les organes génitaux s’atrophieront au point de ne plus pouvoir établir avec certitude le sexe d’un individu — quant à la continuité de l’espèce, il faudra créer artificiellement, grâce à l’injection de « sexine », des couples reproducteurs chez lesquels on prélèvera les embryons que l’on fera se développer dans des conteneurs spéciaux. 

L’orientation lesbienne est l’egemonikon des nouvelles féministes : celles qui la pratiquent entraînent les autres (justifiant les paroles de Platon selon lequel celui qui ne possède pas en soi 

d ‘egemônikon, de souverain intérieur, il est bon qu’il le trouve en dehors de lui), réalisant ainsi une « socialisation de la perversion » telle que la définit F. Fornari, président de la Société Italienne de Psychanalyse : il s’agirait d’un « cas de déviance qui tend à se poser comme règle », d’une « tentative de socialiser un conflit privé, de façon à y impliquer les autres aux fins de se rassurer soi-même ». 

La libération sexuelle, qui devrait être la prémisse de la lutte politique, devient de soi-même un instrument de révolution culturelle qui se propose de renverser l’« ancien régime », même au prix d’une mutation génétique. En fait, il ne s’agit pas d’une libération « du » ou « par » le sexe, mais bien d’une neutralisation du sexe, prémice de l’indifférencié. Si les plus réactionnaires, les plus obtus et les plus intransigeants des hommes peuvent considérer tout cela comme une confirmation supplémentaire (si jamais ils en voulaient une !) du masochisme féminin, qui atteint ici les limites de la folie, par contre, tous les progressistes applaudissent et favorisent ce genre d’initiative — comme le montre le Sex Discrimination Act, où, entre autres, « est proscrite l’utilisation des mots ‘homme’ et ‘femme’ sur tout document officiel et dans tout rapport public, juridique ou administratif concernant le travail pour y substituer le mot ‘personne’, afin d’agir ou, du moins, de favoriser une réflexion anticonformiste sur la dichotomie, ancrée dans les mœurs, du travail en activités ‘masculines’ et ‘féminines’ ainsi que tous les conditionnements qui, dans n’importe quel type fie relation-interpersonnelles, dérivent du fait d’être homme ou femme – L’humanité d’aujourd’hui renonce à son propre être en préférant se définir comme une « personne ». Nous ne voyons pas très bien dans quelle mesure on peut y voir un progrès — tout spécialement quand on pense que, durant des siècles, persona a signifié « masque de théâtre » : qu’il fut comique ou tragique, son essence était cependant toujours et simplement celle que lui avait reconnue le fabuliste Phèdre : cerebrum non habet, « elle n’a pas de cervelle ». Ni de sensibilité. 

En ce qui concerne cette dernière, il semblerait toutefois que, pour l’instant, elle ne soit pas encore morte. Elle est devenue plus élémentaire, il est vrai ; en abandonnant les sommets élitistes de l’art et de la poésie, elle s’est démocratisée et, par suite, s’est focalisée dans une direction unique : la rage collective, « notre rage » comme répètent souvent les féministes avec la même dévote affection dont, autrefois, les Alchimistes faisaient preuve en disant « notre élixir ».

Et il est symptomatique que, parmi tous les termes indiquant la colère (fureur, indignation, mépris, etc.), les féministes se soient « reconnues » — nous reprenons leur propre expression, car il semble vraiment qu’il s’agisse d’une équation personnelle — précisément dans celui de « rage », lequel évoque immédiatement la canum rabies d’Ovide, l’improba ventru rabies virgilienne, la rabies civica qui, pour Cicéron, avait valeur de « fureur incontrôlée de la guerre civile », La rage n’est pas humaine, mais bestiale. C’est la révolte de l’instinct contre la raison et elle peut déboucher sur ce que Freud appelait le Todestrieb, l’instinct de mort. Et peut-être est-ce cela la direction inconsciente de la « rage » féminine qui se manifeste sous la forme d’une sombre et féroce détermination de tirer vengeance de la castration millénaire (qu’elle soit, comme on voudra, physique, économique, spirituelle, sociale ou œdipienne) — en imposant à l’homme la castration psychologique, même au prix de la perte de sa propre identité sexuelle- Mais, après tout, existait-elle, cette identité ? 

Si elle aussi était un produit de la culture, on peut l’abandonner sans larmes, proférant l’auguste apophtegme : « La comédie est finie ». Tout se réduit à changer de masque quand il ne sert plus, en sachant que la nature pourvoira à satisfaire biologiquement les nouvelles fonctions. Et si ce que soutient Darwin est vrai, alors on peut bien dire : « heureusement qu’il y a l’habitude ». 

Des compagnons de route suspects.

Désormais affranchies sexuellement, les femmes se sont finalement risquées sur le terrain politique, s’alignant sur les hommes dans la lutte des classes. 

Mais, évidemment, tes temps n’étaient pas encore mûrs. Les féministes signalent ainsi que… : « A l’intérieur des mouvements politiques continuent à se perpétuer les mêmes types de rapports de sujétion entre hommes et femmes ». Ce qui revient à dire qu’on ne peut militer avec profit au coude à coude avec quelqu’un à qui, en réalité, on veut « faire la peau », à moins d’être des stratèges suffisamment avertis pour l’utiliser et ensuite lui casser les reins. Et c’est justement ce qu’ont fait les hommes qui, habitude invétérée, ont de nouveau contraint les femmes à l’abominable rôle de servantes, en les promouvant sur-le-champ « anges de la ronéo », à défaut d’être ceux du foyer. S’ils ne les ont pas ensuite exterminées, c’est parce qu’elles sont encore utiles, ou parce qu’ils les jugent incapables de nuire ou, enfin, parce qu’ils sont convaincus de les avoir neutralisées, au sens littéral et sexuel du terme. Et ils n’ont pas tous les torts. « Les femmes qui théorisent sur l’homosexualité féminine viennent presque toutes des rangs de la gauche extraparlementaire et ont joué un rôle important dans les événements de 68 » Il faut en conclure qu’elles en sont sorties tellement traumatisées qu’elles ont préféré adopter « une position de fuite vis-à-vis des conflits et des tensions propres à tout engagement politique ».

Quelle vengeance plus satisfaisante pour un homme, même le plus sadique, qu’une seconde castration ? 

Les rescapées n’ont survécu que pour subir la honteuse provocation de « camarades » qui, lors d’un récent congrès à Rome, les ont saluées… par un lancer de préservatifs remplis d’eau (Quaderni di lotta femminista, n°2).

Et pourtant, l’erreur n’a pas été dans le choix de la direction politique. S’il est vrai que « patriarcat » coïncide avec « capitalisme », la voie du collectivisme et de l’égalitarisme était sans doute la bonne. La Tradition le savait — et Marx le soutenait aussi : « Le rapport immédiat, naturel, nécessaire de l’homme à l’homme est le rapport de l’homme à la femme En celui-ci apparaît donc dans quelle mesure le comportement naturel de l’homme est devenu humain ou dans quelle mesure l’essence humaine est devenue pour lui l’essence naturelle, dans quelle mesure sa nature humaine est devenue pour lui la nature. Dans ce rapport apparaît aussi dans quelle mesure le besoin de l’homme est devenu un besoin humain, donc dans quelle mesure l’homme autre en tant qu’homme est devenu pour lui un besoin, dans quelle mesure, dans son existence la plus individuelle, il est en même temps un être social » (Marx).

Les féministes se sont trompées parce qu’elles ont pris pour du marxisme ce que Marx lui-même définissait comme un « communisme grossier », dans lequel « l’envie générale devient une force », dans lequel « l’idée de toute propriété privée en tant que telle est tournée, tout au moins contre la propriété privée plus riche, sous forme d’envie et de goût de légalisation (…) ».

Vis-à-vis des femmes, cette espèce rudimentaire de communiste, héritière des idées de Fourier et de Saint-Simon, se comporte comme un phallocrate intransigeant ; à ce qu’on peut en voir, même les marxistes à la fois les plus purs et les plus éclairés tombent tête baissée dans l’apostasie saint-simonienne quand il s’agit des femmes : video meliora proboque, deteriora sequor. Et pourtant, Marx s’était évertué à extirper cette honteuse hérésie, il y a déjà 130 ans de cela, en révélant l’abject secret de ses devanciers : « (…) au mariage (qui est certes une forme de la propriété privée exclusive) on oppose la communauté des femmes, dans laquelle la femme devient donc une propriété collective et commune, On peut dire que cette idée de la communauté des femmes constitue le secret révélé de ce communisme encore très grossier et très irréfléchi. De même que la femme passe du mariage à la prostitution générale, de même tout le monde de la richesse, c’est-à-dire de l’essence objective de l’homme, passe du rapport du mariage exclusif avec le proprietaire privé à celui de la prostitution universelle avec la communauté ».

Mais en dépit des bonnes intentions de Marx, le virus s’était implanté avec vigueur. Au reste, Platon n’avait-il pas fabulé à propos d’une bienheureuse République ou la communauté des biens et des femmes était la règle ? 

En militant aux côtés des hommes, les féministes se sont aperçus que ceux-ci sont, bien qu’ils se proclament marxistes, saint-simoniens dans leur être le plus authentique et le plus secret ; le collectivisme des hommes est par conséquent une structure androcratique où la seule alternative pour les femmes à la fonction de servante s’avère être celle d’un ange sous son aspect ancillaire (encore faut-il en être digne).

Marx aurait dû mieux s’expliquer, préciser ce concept et le rendre opérationnel — mais, pour lui aussi, il est clair que ce sujet était secondaire (ou bien, la tendance à récidiver de ses disciples lui fit comprendre qu’il était plus sage de ne pas insister), si bien que la question féminine fut liquidée par la stérile réprimande qu’il s’adresse dans ses œuvres de jeunesse et qui a la saveur d’une nécrologie ; « Reçois pour obsèques ma poignante tristesse — cette amphore de lait, ce panier de fleurs — et que ton corps ne soit, vivant ou mort, que roses ». Ronsard était plus poétique mais, enfin, chacun fait ce qu’il peut. 

Il ne reste plus aux féministes qu’à « relire » Marx, « dans l’optique » de ses bienveillantes dispositions vis-à-vis des femmes : quoi qu’il en soit, elles devront tenir pour certain que, pour se livrer à des comparaisons avec une telle « optique », les hommes se révéleront atteints d’une grave myopie, sinon de scotomes, En témoigne l’attitude en U.R.S.S. vis-à-vis des femmes !

Peut-être que, de nos jours, la lutte des classes se révèle trop ardue et trop pleine d’embûches pour les féministes ? Une freudienne comme J, Mitchell conseille de se rabattre sur la lutte contre le système sexiste : « La suppression de l’économie capitaliste et la méfiance pour la politique qui la met en œuvre ne signifient pas en elles-mêmes une transformation de l’idéologie patriarcale (…) Le changement en direction d’une économie socialiste n’amène pas avec lui la fin du patriarcat comme conséquence naturelle. Il est indispensable de mener un combat bien précis contre le patriarcat : une révolution culturelle ». 

Les fantasmes de Freud poursuivent les féministes comme l’ombre de Banquo. Et se fait jour un doute : peut-être bien qu’au bout du compte, le pauvre homme n’avait pas tous les torts. 

L’inceste comme révolution.

C’est donc un fait patent : avant d’être marxistes, les hommes sont des Hommes. Qu’est-ce qui les rend tels ? En faisant abstraction de leurs organes génitaux — que personne, désormais, ne considère plus comme l’orgueilleuse clé de voûte du prestige et de la puissance—, on en déduit que l’abominable statut masculin est le fruit de l’éducation, c’est-à-dire de la culture. 

Chaque famille est la matrice d’autant de petits œdipes destinés à s’identifier comme il se doit au père, et à perpétuer en son nom l’infâme tradition — quel que soit le tissu social qui les accueillera parvenus à l’âge adulte. 

Il est donc préférable de mener la lutte sur deux fronts : d’un côté, préparer une société d’essence collectiviste-matriarcale ; de l’autre, extirper le mal à la racine en supprimant l’institution maléfique qui produit les phallocrates : la famille. 

En réalité, il s’agit de deux actions convergentes et complémentaires : en abolissant la famille patriarcale, on sape les fondements du capitalisme ; en abattant le capitalisme, vice versa, l’institution familiale est destinée à s’effondrer. On peut de toute façon observer que l’opération est déjà bien engagée dans les deux directions, et pour des raisons indépendantes de l’action des féministes : c’est l’issue fatale de la logique propre au capitalisme qui, en se développant, s’autodétruit. 

« La société capitaliste institue la famille dans le contexte de sa propre superfluité » (Mitchell).

En fait, la structure patriarcale archaïque reposait sur l’impératif de l’exogamie et du tabou social de l’inceste ; et « l’économie capitaliste implique, pour les masses, que l’impératif de l’exogamie et du tabou social de l’inceste n’ait aucune importance » En dépit de cela, d’une façon contradictoire et anachronique, elle tend à le perpétuer, en en rendant dépositaire la famille « nucléaire ». Ce faisant, elle fait preuve d’une nouvelle incohérence puisque, dans son étroitesse, la famille « nucléaire » « est en totale contradiction avec la structure parentale car, comme cette dernière, elle s’articule autour du complexe d’Œdipe ».

En substance, la famille nucléaire capitaliste est appelée à personnifier la loi intériorisée de l’ordre patriarcal ( = échange des femmes en vue d’instituer des rapports de parenté) alors que les impératifs qui justifiaient cette loi sont désormais dépassés puisque l’échange des femmes n’a plus de sens et que les liens sociaux ne se fondent plus nécessairement sur la parenté.

Outre qu’elle est superflue, la famille nucléaire devient carrément nocive si l’on tient compte de l’analyse faite par R.D. Laing, lequel voit en elle la cause de la schizophrénie et, ne daignant pas prendre en considération la figure du père, ne retient comme déterminants pour la formation de la personnalité que les seuls rapports mère-enfant.

Nous ne pouvons ici nous arrêter sur ce que présupposent les conclusions de Laing et nous nous bornerons à citer le commentaire que fait J. Mitchell de ses théories : « ses révélations sur les horreurs familiales ont encouragé la recherche des communautés ». Encouragement que l’on pourrait aussi trouver chez Engels, qui parle du mariage de groupe comme de l’unique institution grâce à laquelle la femme, aux temps préhistoriques, jouissait d’une position prééminente et d’une absolue liberté, position qui fut ensuite sapée par l’institution monogamique d’inspiration capitaliste. 

On a donc, d’une part, sur la même « ligne autoritaro-répressive » : la famille monogamique patriarcale, la civilisation (nécessairement androcratique, puisque fondée sur l’échange femme-signe), et le capitalisme — inutile de se demander lequel des trois phénomènes s’est manifesté le premier car aucune science existante ne peut l’établir : ce sont trois aspects d’une même réalité, qui, à une date imprécise dans le passé, par une fatale convergence, ont donné naissance à l’actuelle civilisation « historique » telle qu’elle existe aujourd’hui dans ses structures les plus profondes — et puis, d’autre part, on a le collectivisme, la communauté, la polygamie à prédominance matriarcale et, en conséquence, la liberté de l’inceste, caractéristique, nous l’avons vu, de l’âge qui a précédé la civilisation actuelle. 

On pourrait objecter que, mises à part les sagas et les légendes mythologiques, une semblable société ne s’est jamais réalisée de mémoire d’homme. Mais quelqu’un s’est déjà occupé de passer en revue les « primitifs », apportant à notre culture occidentale sans âme le verbe révélateur et le réconfort d’une nouvelle espérance messianique en la personne des Trobriandais. Ce n’est pas ici le lieu de se demander ce que notre civilisation a jamais eu de commun avec ces gens-là. Depuis toujours, l’humanité cherche une sanction sacrale à ses actes : il fut un temps où (l’approbation devrait descendre d’en-haut, puisque l’humanité se mirait orgueilleusement dans un paradigme divin. Aujourd’hui, l’humilité prévaut, et nous avons pris l’habitude de considérer comme dignes d’exemple la vie de primitifs et celle des singes. 

C’est le revival de la « pensée sauvage » dont de nouveaux prophètes et de nouveaux prêtres ont reçu la révélation remplaçant Moïse ou Zarathoustra, les ethnologues sont désormais les hagiographes de la nouvelle sainteté sauvage. 

TROBRIAND, le nouveau Paradis.

L’humanité a, de tous temps, fabulé sur l’existence d’Iles Bienheureuses où tous les désirs humains trouvaient satisfaction : l’ile Blanche, siège du Graal, l’ile d’Avalon, l’ile d’Ogygie — sans parler des Iles des Bienheureux constellées d’asphodèles ascétiques. Mais jamais personne n’avait jusqu’ici réussi à imaginer ce que l’on trouve aux Iles Trobriand — devenues désormais, a juste titre, le symbole du bien suprême auquel tend notre civilisation : bien auquel, après de pénibles vicissitudes, elle devra cependant parvenir. Les Trobriandais, donc (comme nul ne l’ignore depuis que Malinowski nous a fait le récit des admirables institutions de leur société), connaissent les délices édéniques de la vie communautaire : depuis leur plus tendre enfance, ils sont parfaitement conscients de leurs désirs incestueux que, dans leur sagesse, leurs mères encouragent dès l’allaitement ; une fois sevrés, les chers petits s’entraînent activement à la masturbation collective à la satisfaction de tous — ce qui constitue sans doute la meilleure prophylaxie contre la constitution des « cuirasses » reichiennes. L’orientation générale est de type matriarcal, ce qui rend ces peuples libres et amants de la paix. Du moins sont-ce les conclusions, confirmées par les travaux de Margaret Mead sur d’autres tribus, auxquelles parvient Malinowski.

Mais la situation des Trobriandais est purement indicative car, en fait, ce peuple traverse une phase de transition en laquelle on peut déjà observer les germes destinés à déboucher sur l’odieux système patriarcal. L’exogamie est en effet en passe de s’institutionnaliser et l’inceste, interdit — même si son désir n’est pas réprimé mais simplement dévié vers d’autres objectifs érotiques. Quoi qu’il en soit, on ne peut le satisfaire. Si nous voulons agir d’une façon radicale, il faut par conséquent que nous remontions à un stade encore antérieur : à un état où classisme et sexisme demeurent ensevelis en une paix perpétuelle sans possibilité de ressusciter. 

C’est justement dans cette direction que notre civilisation est en train de s’orienter. En fait, aussi bien le collectivisme que la désagrégation de la famille débouchent fatalement sur les communautés, sur le couple « ouvert » et, par conséquent, sur l’inceste. Un inceste pas seulement fortuit et inconscient, déterminé par l’impossibilité d’identifier son propre père au milieu de la promiscuité pandémique, mais carrément institutionnalisé. 

C’est la logique même des faits : puisque le tabou de l’inceste n’existe pas dans notre code génétique, mais est une conséquence de la culture dont est dépositaire la famille œdipienne, une fois celle-ci abolie, le tabou disparaît de lui-même. 

Mais il n’y a pas que cela qui disparaisse. 

« La prohibition de l’inceste n’est, ni purement d’origine culturelle, ni purement d’origine naturelle ; et elle n’est pas, non plus, un dosage d’éléments composites empruntés partiellement à la nature et partiellement à la culture. Elle constitue la démarche fondamentale grâce à laquelle, par laquelle, mais surtout en laquelle, s’accomplit le passage de la nature à la culture. (…) La prohibition de l’inceste est le processus par lequel la nature se dépasse elle-même ; elle allume l’étincelle sous l’action de laquelle une structure d’un nouveau type, et plus complexe, se forme, et se superpose, en les intégrant, aux structures plus simples de la vie psychique… ». Lévi-Strauss en conclut que l’interdiction de l’inceste chez l’homme est le lien entre la sphère biologique et la sphère sociale. Si la culture disparaît, on régresse alors au niveau biologique. Mais à bien y regarder, tous les signes de notre temps tendent à montrer qu’une telle régression est chose faite, couronnement des auspices qui évoquent « une éventuelle société future dans laquelle le sexe ne soit simplement déterminant que dans les rapports sexuels, justement ». En admettant toujours que l’on puisse encore parler de sexe. 

Les hommes et les fourmis.

Lorsque tout le monde tombe d’accord sur un point, il est de règle qu’on l’accepte pour vrai. Dans notre cas, nous avons affirmé que la civilisation humaine est patriarcale : pour des motifs classistes, comme l’affirme le matérialisme historique ; pour des raisons de suprématie sexuelle, selon Freud ; comme le montre l’expérience dans le domaine ethno-anthropologique, si l’on suit Lévi-Strauss — pour ne citer que ceux-ci ; ou encore parce qu’elle reproduit les lots de l’Univers, comme le veut la Tradition. On ne peut en tirer qu’une seule conclusion : depuis que l’histoire existe, et même avant, ce sont les hommes qui, à tort ou à raison, possèdent le capital et s’échangent les femmes — ou, de façon plus normale, se les prennent avec ou sans sanction métaphysique. 

Ce type de civilisation a reconnu à la femme des caractéristiques bien précises : soit conformes à sa véritable essence, selon la Tradition, soit arbitrairement imposées parce que d’essence il n’y avait trace (ou bien elle ne comptait guère, ou encore pouvait se modifier par la force) ; le résultat est que la femme se trouve maintenant investie d’un rôle déterminé dans lequel des siècles et des millénaires l’ont reléguée. Un rôle dont a l’heure actuelle elle ne veut plus : sur ce point également il n’y a aucun doute à avoir. 

Pour quels motifs le refuse-t-elle ? 

Une telle question pourrait sembler tout à fait désobligeante par sa banalité depuis que les collectifs, les associations et les mouvements féministes ont illustré, imprimé, diffusé et manifesté par monts et par vaux les vexations, les surcroîts de travail, les « chosifications », les mortifications et les « ancillarités » que ce rôle implique. Elle le refuse, c’est clair, parce qu’elle « a pris conscience ». 

Posons alors notre question de façon plus précise : pourquoi seulement et justement aujourd’hui ? 

Parce que c’est seulement aujourd’hui, en raison d’une fatale convergence, non pas tant que les femmes, mais que tes temps sont mûrs. 

Par la faute ou bien grâce au capitalisme, au collectivisme, à la science qui tue, à la science qui guérit, au progrès, à l’industrie : quelle importance cela peut-il avoir ? Les événements sont liés et interdépendants ; le matérialisme a donné naissance à la science ; la science a produit l’industrie ; l’industrie a généralisé le capitalisme. C’est la tétralogie du progrès : matérialisme, science, industrie et capitalisme s’épaulent et se justifient réciproquement. 

Mais l’industrie a également créé la classe ouvrière qui se renforce proportionnellement à l’extension de l’industrie même et du capitalisme et, par suite, mène au collectivisme, au triomphe de Marx — et confirme les thèses de la Tradition. Collectivisme et matriarcat sont indivisibles : inutile d’aller jusqu’aux Iles Trobriand pour le démontrer. 

Si, de tous côtés, on se sent aujourd’hui en devoir de « militer », quel que soit le domaine spécifique dans lequel on croit mener la lutte (qu’elle soit politique, sociale, économique, culturelle, familiale, libertaire ou liberticide) et quelle que soit la fin que l’on croit poursuivre (améliorer, aggraver, modifier, détruire ou reconstruire notre civilisation), le résultat sera fatalement le même : la révolution culturelle sous les bannières du féminin. Ou de l’indifférencié, puisque c’est une substance qui, pour des motifs incompréhensibles à la mentalité moderne, qui ne croit pas aux substances, est en pleine mutation. 

Il existe une petite fable antique qui parle de fourmis flânant sur une pierre au bord d’un précipice. En passant, un chariot heurte la pierre qui roule dans l’abîme. Les fourmis (puisque c’est de fourmis que nous parlons), convaincues d’avoir provoqué à elles seules le mouvement, se divisent en deux factions : les conservatrices se massent sur le bord supérieur afin de tenter de ramener la pierre à sa place initiale tandis que les progressistes courent vers le bord inférieur afin d’accélérer la chute. 

Et pendant ce temps-là, insouciante des fourmis, la pierre poursuit bien entendu sa course en vertu de la loi de la pesanteur. 

Esope terminait immanquablement ses mythoi par un appendice explicatif: « La fable enseigne… ». Mais, à son époque, les gens devaient certainement être assoiffés d’enseignements. 

De nos jours, prévalent, dépourvus comme il se doit de toute connotation ironique et pris à la lettre, les vers de Dante : 

« Tu peux bien, ma Florence, être contente 

De ce hors-d’œuvre ici, qui ne te touche 

Grâce à les gens qui si bien argumentent ». 

Purgatoire, Chant VI, v. 127-129.


Les femmes de l’apocalypse. (Première partie : La crise du monde moderne).

Les femmes de l’apocalypse. (Deuxième partie : La prostituée de Babylone et la Vierge-Mère).

Les femmes de l’apocalypse. (Troisième partie : Le Sabbat de l’An 2000).


Source : « Femminilità e femminismo. Saggio sulla Donna nel Mondo della Tradizione », ouvrage d’ Edy Minguzzi publié à Gênes en 1980.