Masculin, masculinités, masculinisme.

Dans la grammaire française, en l’absence de neutre, le masculin s’oppose au féminin et le surpasse dans les accords d’adjectifs où il représente de fait, la règle générale, tandis que le féminin devient une règle particulière. L’Humain devient l’Homme, par décret d’une Académie Française dont sont exclues les femmes jusqu’à la fin du XXème siècle. Est-ce pour cela que les auteurs ont d’abord cherché à percer l’essence de la nature féminine et non celle d’un homme considéré comme universel et non contingent ?

Les recherches sur les hommes et le masculin lèvent ce tabou. Elles sont proches des recherches féministes dès lors qu’elles envisagent la manière dont les mâles incorporent ou non les standards qui leur permettent de devenir dominants à travers leurs choix professionnels, leurs activités culturelles et sportives, leurs engagements, leur consommation, leur sexualité. Elles examinent comment cette identité se construit à la fois dans des milieux mixtes (la famille, l’école, le travail) et dans des maisons des hommes dont l’enjeu est la production des grands hommes, par la compétition des mâles entre eux et la sélection de leurs chefs (Godelier, 1988). Elles en montrent les conséquences : la dévalorisation du féminin, la stigmatisation des hommes moins virils, efféminés ou soupçonnés d’être homosexuels.

Les recherches sur les hommes se différencient des études féministes lorsqu’elles prennent comme postulat le masculin comme identité et les masculinités comme cultures. Les masculinités (études masculines) peuvent intégrer les rapports sociaux de sexe, en montrant par exemple comment se perpétuent et se renouvellent sans cesse des cultures masculines hégémoniques, aussi variées que les sociétés et les groupes sociaux dans lesquelles elles s’inscrivent (Connell, 1995).

Il arrive aussi qu’elles ignorent les rapports de domination en essentialisant la nature masculine et sa construction universelle. Les études masculines peuvent alors devenir hostiles aux femmes ou antiféministes dès lors que les rapports de domination hommes femmes sont naturalisés ou simplement niés. La recherche des valeurs intrinsèques du masculin, s’appuyant sur des corpus historiques, sociologiques, psychanalytiques, anthropologiques, voire tirés de l’éthologie animale, affirment alors la naturalité de la distinction des sexes et de leur hiérarchisation.

Le masculinisme est un avatar des études sur le masculin. Les faits, les écrits et les recherches sur les hommes sont détournés pour montrer l’effet néfaste des thèses féministes sur l’ensemble du corps social. Le masculinisme dénonce la nocivité des familles sans pères, le risque qu’un enseignement trop féminisé fait peser sur l’éducation des garçons, les effets dévastateurs d’un Etat Providence, présenté comme une Big Mother, sur l’économie, la politique, l’environnement. La crise de la masculinité est présentée comme un signe de décadence, caractéristique des sociétés en déclin, excusant parfois la violence des hommes poussés dans leurs retranchements par les nouveaux pouvoirs des femmes et la violence symbolique qu’elles exerceraient « de plus en plus » sur l’ensemble du corps social.

En France, la critique féministe des études sur le masculin a ciblé ces dernières années un certain nombre de chercheurs étiquetés faux amis du féminisme. Cette critique, qui doit être prise en compte, ne doit pas masquer un champ large et prometteur. Les études masculines, ouvertes sur la plupart des disciplines des sciences humaines et sociales, peuvent intéresser de jeunes chercheuses et chercheurs sensibilisé.e.s aux études féministes et aux études de genre.


Yves Raibaud. Masculin, masculinités, masculinisme. Arnaud Alessandrin et Brigitte Estève- Bellebeau,. Genre! L’essentiel pour comprendre, éd. des ailes sur un tracteur, p. 45-47, 2014, Miroir/Miroirs, hors série n°1. hal-00998282