Les femmes qui réussissent utilisent les femmes pauvres pour avancer.

On a beaucoup écrit sur la libération que le féminisme a apportée aux femmes, en se battant pour leur droit de travailler et de gagner un salaire comme le font les hommes depuis des temps immémoriaux ou du moins depuis que la révolution industrielle a commencé à la fin du XVIIIe siècle. Cependant, nous ne savons pas que derrière chaque femme qui réussit et qui vit le rêve de la quatrième vague féministe, il y a… beaucoup de femmes qui ne réussissent pas.

« Entrepreneuse », mère de deux enfants.

Je suis récemment tombée sur ce récit des difficultés que rencontre une « mère entrepreneuse » (sur le point d’atteindre la quarantaine) de deux enfants :

« Au cours des dix semaines qui se sont écoulées depuis que nous sommes devenus une famille de quatre personnes, nous avons passé environ trois semaines tous les quatre dans la même ville. Mon mari termine une maîtrise en photographie et travaille sur un ambitieux projet dans le centre-ville de Las Vegas.

Ajoutez à cela un PandoMonthly à Los Angeles, deux à New York et deux conférences depuis la naissance d’Evie, et nous avons sillonné une grande partie des États-Unis dans des combinaisons infinies. Moi, Evie et l’infirmière de nuit. Eli, notre nounou et mon mari. Moi et Evie et Eli et la nounou. Moi, Eli, Evie, mon mari et la nounou. Et la combinaison que je préfère le moins : Juste moi et le tire-lait ».

Donc, pour que les choses soient claires :

Elle vit et travaille quelque part autour de San Francisco/San Jose/Silicon Valley.

Son mari réalise un projet photographique très important dans le centre-ville de Las Vegas.

Elle se rend régulièrement à Los Angeles, à New York et dans d’autres villes plusieurs fois par mois pour son travail.

Ils ont deux enfants de 21 mois et 3 mois.

En lisant ceci, je me suis dit « Comment pouvez-vous faire tout cela sans avoir deux nounous à plein temps ? Ok, au moins une à temps plein et une à temps partiel ». Et temps plein signifie vraiment que la nounou voyage, mange et loge avec vous. Tout cela se traduit par beaucoup d’argent qui change de mains. (Pour être juste, elle en parle à la fin de son article).

La question fondamentale devient alors : Qui élève les enfants de cette nounou alors qu’elle travaille pour elle 24 heures sur 24 ?

Peut-être Juanita a-t-elle des enfants à Tijuana, élevés par sa mère, ce qui lui permet d’être une nounou 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Mais nous reviendrons sur les Juanitas, Paulitas et Carlitas de ce monde dans un autre article.

L’énigme de la barista.

Si l’idéal du féminisme est que les femmes puissent s’épanouir par le travail (et non en élevant leurs propres enfants), alors les nounous, les vendeurs de sandwichs Subway, les employés de fast-food et les artistes de ce monde sont foutus, mais pas les Mayer, Sandberg et Bradshaw.

Parlons du paradoxe inhérent à la lutte du féminisme pour le droit des femmes au travail.

Derrière chaque femme qui « réussit », il y a une foule d’autres femmes (nounous et femmes de ménage) qui travaillent au salaire minimum pour élever ses enfants, ce qui nous amène au fait que, fondamentalement, le féminisme est un concept bourgeois qui a été lancé par des femmes de la classe supérieure qui s’ennuyaient et qui désiraient échapper à l’ennui de leurs maisons. (Vous pouvez lire Madame Bovary de Flaubert pour vous faire une idée des effets de l’ennui sur des femmes au foyer oisives de la classe supérieure).

Elles voulaient briser ce qu’on appelle le plafond de verre en travaillant comme politiciennes, avocates, journalistes, gestionnaires, PDG et collectrices de fonds dans des organismes sans but lucratif, mais jamais comme nounou, travailleuse à Macdo ou barista, ce qui signifie que c’est la nature du travail et le salaire qui sont importants et non le droit de travailler en soi.

Vertical contre horizontal.

Et c’est là que le féminisme échoue complètement en tant qu’outil viable pour atteindre l’égalité sociale, car la lutte des classes, si elle peut exister au 21e siècle, doit être orientée verticalement. Il faut que ce soit les pauvres contre les riches (qui sont des catégories sociales) plutôt que les femmes contre les hommes (qui sont des genres au sein d’une catégorie sociale).

Il est absurde de parler de la « condition des femmes » dans une société, car cette « condition » dépend de la classe sociale. Il n’y a aucun chevauchement économique ou social entre la condition d’une fille exploitée en tant que caissière et celle d’une femme PDG d’une entreprise du CAC40.

Le système gagne en soutenant tout mouvement qui remplace cette lutte verticale (entre classes sociales) par une lutte horizontale (au sein d’une classe sociale), d’où son soutien inconditionnel au féminisme depuis ses débuts. On peut donc dire que le féminisme, par définition, est un destructeur de la solidarité de classe.

Les féministes qui font des hamburgers chef Macdo n’existent pas.

Il est certain qu’une manifestation pour l’augmentation du salaire minimum (je donne juste un exemple, ne me brûlez pas sur le bûcher des commentaires pour hérésie) rassemblerait tous les hommes et les femmes travaillant au salaire minimum dans la rue, indépendamment de leur sexe, parce qu’ils appartiennent à la même classe sociale.

Cependant, il n’y a rien de commun entre une femme PDG et une serveuse de Starbucks, car le sexe ne transcende pas la classe sociale. Une femme cadre intermédiaire qui travaille dans un McDonald’s maltraite ses subordonnés, quel que soit leur sexe.

Par exemple, Melissa Mayer et Sheryl Sandburg ne quitteraient jamais leur emploi pour élever leurs enfants. Ces emplois sont si bien rémunérés et d’un statut social si élevé qu’ils deviennent automatiquement épanouissants.

Cependant, faites cette offre à leurs nounous (ou à un échantillon aléatoire de nounous « N ») et une majorité d’entre elles l’accepteront sans hésiter, car pourquoi élever les enfants d’autrui avec un salaire de misère (et laisser ses propres enfants à la garde de quelqu’un d’autre) quand on peut consacrer son temps à ses propres enfants avec le soutien d’un mari aimant et attentionné qui subvient aux besoins de la famille.

En clair, les emplois de Mayer et Sandburg sont trop bons pour être abandonnés, ceux des nounous sont trop merdiques pour être conservés. Ce n’est pas comme si les nounous et les baby-sitters disposaient d’un plan de retraite et d’avantages en matière de soins de santé qui vont de pair avec leur emploi.

La beauté de cette escroquerie réside dans le fait qu’un pourcentage énorme de femmes finissent par être des travailleuses à bas salaire tandis que très peu d’entre elles réalisent le rêve du « je vais tout avoir ».

Les hommes nounous n’existent pas non plus.

Le féminisme pénalise les femmes de la classe ouvrière d’une autre manière très subtile. Malgré tout le brouhaha autour de l’égalité entre les sexes, les hommes nounous n’existent pas, car le méchant patriarcat interdit aux gens d’engager des hommes nounous.

Ce n’est donc pas comme travailler au KFC, où le ratio hommes-femmes des employés gagnant le salaire minimum est d’environ 50-50, ce qui signifie que le système distribue la misère aux hommes et aux femmes de manière assez équitable.

D’autre part, une nounou doit être une femme, car même les féministes (sans parler de la mère de famille au volant de sa Volvo), aussi neutres soient-elles, n’engageront pas de nounou masculine.

Ce qui se passe dans la vie réelle, c’est que les femmes pauvres de la classe ouvrière et de la classe moyenne inférieure finissent par élever les enfants des femmes riches. Echapper à ce type d’exploitation salariale était une possibilité qui leur était offerte à l’époque pré-féministe, quand avoir un emploi n’était pas une obligation imposée par le système comme c’est le cas aujourd’hui.

La nation du Prozac.

Nous savons tous que la définition de « l’éducation des enfants » a beaucoup changé au fil du temps et qu’aujourd’hui, cela signifie essentiellement laisser ses enfants à la garderie pour aller travailler, les récupérer, leur préparer (réchauffer ?) un dîner et les mettre au lit.

Notre couple d’entrepreneurs et de photographes, cependant, a porté la chose à un tout autre niveau. Il est très rare que les deux soient présents pour passer du temps avec les enfants. Ils ont essentiellement confié l’éducation de leurs enfants à des nounous tout en poursuivant leurs passions respectives (n’oubliez pas qu’il s’agit, à toutes fins utiles, d’un couple de la classe moyenne).

Et c’est là que nous trouvons la faille ultime dans la proposition sociale féministe.

Le féminisme a fait croire aux femmes que toutes les femmes peuvent tout avoir. Dans la pratique, cependant, beaucoup d’entre elles finissent par ne rien avoir du tout : Ni un travail épanouissant, ni des enfants bien élevés, ni un mariage ou une relation saine.

Je ne tomberais pas de ma chaise si j’apprenais que les enfants et les parents de cette famille finissent par se détester dans quelques années. Les enfants pensent que leurs parents sont des prolos égoïstes qui privilégient leur travail à leur famille et les parents pensent que leurs enfants sont des petits bâtards ingrats qui ne peuvent même pas apprécier les sacrifices que leurs parents font pour leur offrir une vie meilleure.

Nous continuons à nous demander pourquoi des enfants de 13 ou 14 ans se droguent dans les banlieues aisées et personne n’essaie de faire le lien entre l’aliénation induite par les garderies et les nounous et l’absentéisme des parents dans les banlieues, qui, par définition, n’ont pas de vie culturelle ni d’exutoire pour les angoisses des adolescents.

Je suggère aux parents qui se lancent dans ce genre d’expériences extrêmes de parentage par procuration de commencer à mettre un peu d’argent de côté pour leurs enfants. Pas pour leurs études universitaires, mais pour payer leurs séances de thérapie lorsqu’ils atteindront l’âge de l’adolescence.


Source : « Successful women use poor women to advance » publié par Favouritemartian le 29 juin 2013.