Le féminisme vers l’an 1300.

Beaucoup de choses m’ont déplu la semaine dernière à propos de comparaisons faites sur la chevalerie en tant qu’extension sociale désuète de l’impératif féminin. J’ai écrit sur le concept de chevalerie et son impact sur les relations entre les sexes de nos jours, mais comme j’ai lu certains commentaires sélectionnés dans « Sanitizing the Imperative » et après avoir lu des idées fausses sur la chevalerie dans d’autres blogs, j’ai senti le besoin de m’arrêter sur ce sujet et de lui donner plus d’attention. 

Au cours de mes travaux dans la manosphère, j’ai beaucoup lu de fausses perceptions, venant aussi bien d’homme connaissant finement la « pilule rouge » que d’hommes encore prisonniers de la « pilule bleue », à propos de cette notion idéalisée que la chevalerie signifie « jouer selon les règles ». A l’origine, j’avais abordé l’excellent usage pratique que faisait l’impératif féminin moderne en faisant appel à des idéalismes anachroniques comme la chevalerie et l’honneur, dans l’article « The Honor System ». J’ai ensuite revisité cela avec un peu plus de détail dans « Chivalry vs. Altruism » : 

« La chevalerie est simplement l’une des nombreuses idéologies qui a été subjuguée et déformée par le romantisme occidentalisé. La chevalerie s’appliquait à un tas de choses, comme par exemple le faut de ne frapper un homme alors qu’il ne nous regardait pas, ou de ne pas attaquer un ennemi manifestement fragile, inférieur, ou même respecté. C’était à l’origine une code éthique, conçu par l’Eglise catholique romaine, afin de contrôler la nature sans foi et violente des soldats et chevaliers qui, naturellement, avaient une tendance au brigandage, pendant le Moyen-âge. Ce que les gens communs appellent « chevalerie » est en réalité une interprétation classique et un abâtardissement du romantisme occidental et des idéologies de « l’amour courtois » qui, ironiquement, n’étaient qu’un effort des femmes fait pour mieux contrôler les hommes du début et du milieu de la Renaissance. Dans l’essentiel, il s’agissait de dompter l’influence dominante masculine de l’époque en établissant un système de conditions requises qu’un homme doit satisfaire afin d’avoir accès à l’intimité d’une femme ». 

Vous voudrez bien me pardonner de faire une leçon d’histoire dans l’article d’aujourd’hui, mais c’est malheureusement nécessaire. Ce que je trouve le plus communément dans l’interprétation masculine moderne de la chevalerie, c’est une vision du passé un peu « Disney » dans lequel on idéalise des vertus chevaleresques qui n’ont jamais existées que dans des films comme « Excalibur ». Ma première stupéfaction, c’est que le concept de chevalerie a durée aussi longtemps que cela. Cela n’est pas dû à un mérite quelconque, mais plutôt à ce que les aspects les plus « utiles » de la chevalerie ont bénéficié à l’impératif féminin pendant si longtemps que cet idéal est devenu une attente omniprésente et inconsciente que tous les hommes ont intégrés – alors même que l’idéal de la chevalerie continue à coexister avec un féminisme qui le contredit activement. 

Alors restez avec moi pendant que nous allons voyager et revenir aux jours brumeux de l’Europe Médiévale de l’Ouest, en quête de notre Graal : les véritables racines de la chevalerie. 

Les origines de la chevalerie.

Nous sommes aux environs de 1060, et au cours des 100 dernières années, un système féodal de riches propriétaires fonciers et leurs milices personnelles ont fait beaucoup de mal. Malgré les meilleurs efforts de contrôle et de confinement par le Saint-Empire Romain, la violence constante ainsi que les guerres sporadiques entre ces sortes de petits Etats ont entrainé des ruptures graves dans le tissu de la société. Le brigandage et la barbarie étaient chose commune dans les milices – ce qui leur manquaient, c’était un ennemi commun, et ce qui manquait à l’Eglise, c’était des ressources. 

Le Saint-Empire romain fournirait cet ennemi commun sous la forme des infidèles musulmans (Maures) au sud et une série de croisades sanglantes s’ensuivirent. Les Maures possédaient bien sûr les ressources dont l’église était envieuse, mais l’Église manquait d’un ordre social/religieux cohésif pour unir les diverses milices dont elle avait besoin pour faire les croisades. Ainsi naquit le code de la chevalerie.

Ce code faisait appel à la fierté martiale de la classe noble qui était en plein essor, mais plus encore, ce code cimentait l’idéologie en l’associant à la doctrine religieuse de l’époque. Le code a été décrit comme les dix commandements de la chevalerie :

  • Croyez aux enseignements de l’église et observez toutes ses commandements. 
  • Défendez l’Eglise. 
  • Respectez et défendez tous les faibles. 
  • Aimez votre pays. 
  • Ne reculez jamais devant un ennemi. 
  • N’éprouvez aucune pitié face à un infidèle. N’hésitez pas à leur faire la guerre. 
  • Accomplissez toutes les tâches qui sont en accord avec les lois de Dieu. 
  • Ne mentez jamais. Ne revenez pas sur votre parole. 
  • Soyez généreux envers tout le monde. 
  • Toujours et partout, soyez juste et bons et luttez contre le mal et l’injustice. 

Ce n’est pas un mauvais code d’éthique, en vertu duquel on peut unir des factions qui auparavant n’avaient rien de mieux à faire que de se briser les unes aux autres à la force des masses et de se voler les ressources entre elles. C’est une tâche difficile de faire un sorte qu’un homme donne sa vie pour un autre, mais donnez-lui une idéologie, et il ira mourir pour elle. 

Le code chevaleresque a fonctionné étonnement bien pendant près de trois siècles et il a joué un rôle déterminant dans la consolidation de la plupart des pays qui sont devenus aujourd’hui les grandes nations de l’Europe occidentale. Cependant, de même que pour la plupart des contrats sociaux bien intentionnés, ce qui était jadis un ensemble simple de règles absolues a été progressivement détourné par des influences au fil du temps, afin de servir à contrôler et à servir des impératifs que ceux initialement prévus. 

L’amour courtois.

L’Eglise a exercé toute son influence pour faire de la chevalerie un contrat social, mais c’était avant tout un contrat social signé entre les hommes. A l’exception notable de quelques reines et de Jeanne d’Arc, ce ne sont que des hommes qui ont véritablement participé, en public ou en privé, à faire de cette période une période « chevaleresque ». Ce n’est qu’à partir du milieu du treizième siècle que les femmes (nobles) ont commencé à insérer leurs propres impératifs dans le concept de chevalerie. 

A l’époque, la chevalerie était un club d’hommes uniquement, et à moins qu’elle ne soit veuve, une femme était plus ou moins insignifiante dans le domaine de la chevalerie. Un noble pouvait prendre femme, mais ces mariages étaient rarement des mariages romantiques. Le mariage servait plutôt à l’alliance politique entre les Etats (et souvent, permettait de consolider le pouvoir de l’Eglise) et les intérêts amoureux et sexuels d’un homme n’étaient servis que par ses maitresses ou par ses butins de conquêtes. Dans les mariages nobles, l’infidélité était attendue.  

Entrent sur scène deux femmes françaises issus de la noblesse : Eléonore d’Aquitaine et Marie de Champagne. Ces deux femmes ont contribué à lier le concept de l’amour courtois et de la romance avec le code de la chevalerie tel que nous le connaissons (vaguement) aujourd’hui. La richesse et l’affluence de valeur que l’Europe occidentale a connue entre la fin de l’époque médiévale et la haute renaissance était l’environnement parfait pour les femmes de haute naissance, qui se sont senties plus à l’aise pour insérer leur propres besoins et intérêts dans la société. 

A l’origine, l’amour courtois était un idéal beaucoup plus païen, mais comme l’Eglise l’avait fait des siècles auparavant, quand elle a fusionné avec le code chevaleresque, l’amour courtois s’est progressivement révélé comme étant une source étonnamment efficace de contrôle social sur les hommes.

Dans sa forme la plus ancienne, l’amour courtois était beaucoup plus salace que le dispositif socialement contrôlant qu’il est ensuite devenu.

Bien définie, l’expression « amour courtois » était une relation extravagante et stylisée – une affaire interdite, qui était caractérisée par cinq attributs principaux.  En substance, la relation était : 

Aristocratique. Comme son nom l’indique, l’amour courtois a été pratiqué par les nobles (seigneurs et dames) ; le milieu approprié était le Palais Royal ou le Tribunal.

Rituel. Les couples engagés dans une relation échangeaient des cadeaux et quelques-unes de leurs affaires. La Dame était célébrée selon des conventions élaborées (l’étiquette : « parade nuptiale » et « courtoisie ») et elle était constamment destinataire de chansons, de poèmes, de bouquets, de faveurs, et des gestes cérémoniels. Pour toutes ces attentions douces et laborieuses de la part de son amant, elle n’a besoin que de renvoyer un petit soupçon d’approbation, une simple ombre d’affection. Après tout, elle était la « maîtresse » exaltée, commandante de l’affaire ; l’homme était un serviteur humble mais fidèle.

Secret. Les amants courtois étaient entretenaient un secret strict. La base de leur liaison – la source de son aura spéciale et de l’électricité dans l’air – était que le reste du monde (à l’exception de quelques confidents) était exclu. En effet, les amants composaient un univers à eux-mêmes – un monde spécial avec ses propres lieux (par exemple, le rendez-vous secret), ses propres règles, ses propres codes et ses propres commandements.

Adultère.« L’amour fin » – par définition – était extraconjugal. En effet, l’une de ses principales attractions était que la relation offrait une évasion loin de la routine terne et des accouchements ennuyeux du mariage noble (qui n’était généralement qu’une alliance politique ou économique dans le but de produire de la descendance royale). Les troubadours eux-mêmes se sont moqués du mariage, en le regardant comme une escroquerie religieuse glorifiée. À sa place, ils exaltaient leur propre idéal d’une relation charnelle disciplinée et décorée par ses propres codes, dont l’objectif ultime n’était pas la satisfaction physique brute, mais une intimité sublime et sensuelle.

Littéraire. Avant de s’établir comme une activité populaire de la vie réelle, l’amour courtois a d’abord attiré l’attention en tant que sujet et thème dans la littérature imaginative. Les Chevaliers ardents, (vraiment…ardents…), et leurs dames passionnément adorées étaient déjà des figures populaires dans la chanson et la fable avant qu’ils ne commencent à créer une foule d’imitateurs de la vie réelle dans les palais et les boudoirs de l’Europe médiévale. (D’ailleurs même le mot « Romance » – qui vient de l’ancien français – a commencé comme le nom d’un poème narratif sur les héros de chevalerie. Ce n’est que plus tard que le terme s’appliquait à la relation amoureuse distinctive couramment présentée dans de tels poèmes).

La semaine dernière, Dalrock avait fait une synthèse exceptionnelle de l’amour romantique – Feral Love – qui s’est perdu parmi ses autres postes. C’est malheureux parce que presque toutes les choses qu’il met en lumière ici trouve ses racines dans les rituels romancés de l’amour courtois que nous venons de décrire. Ce que nous considérons comme des actes de romance aujourd’hui, ce que nous considérons comme nos devoirs chevaleresques à défendre à l’égard et en faveur de la gente féminine, sont simplement les résultats d’une des tentatives de l’impératif féminin du treizième siècle pour mieux satisfaire l’hypergamie innée (et socialement réprimée) des femmes. Lorsque nous pensons à des actes nobles de sacrifice que font les hommes pour les femmes, ce sont là les origines. Un des actes les plus cruels de dévotion qu’un « amant » pouvait demander à l’autre était de se saigner pour elle ; capturer le sang en se tranchant quelque chose et en comparant la quantité qui est récoltée. 

Dans l’ennui et le confort d’une vie matériellement satisfaisante, les femmes vont créer activement des actes fous et insaisissables dont elles ont besoin pour se sentir en vie. Les premières femmes de cour ont été les premières à perfectionner l’art de maintenir un troupeau d’homme « beta » à disposition, prêt à répondre à toutes leurs émotions non-satisfaites, tout en attendant d’être baisée brutalement par leurs chevaliers Alpha lorsqu’ils reviendront de leurs campagnes. Les pratiques de l’amour courtois au treizième siècle servaient le même objectif pour les femmes, que Facebook aujourd’hui : équilibrer la recherche de l’homme Alpha avec le besoin de l’homme « beta ». 

Féminisme 1.0

Comme je l’avais écrit précédemment, tandis que l’impératif féminin reste toujours le même, il évolue pour s’exercer et se manifester différemment selon les conditions et l’environnement dans lequel il se trouve. Il y a eu une discussion récente dans la manosphère à propos du féminisme, qui ne peut exister que dans une société aisée qui fournit suffisamment de contrôles sociaux internes pour protéger les extensions de l’impératif féminin. Par exemple, les marches féministes du type « fière d’être une salope » peuvent être encouragées en Suède, mais il y en a très peu en Egypte. C’est l’environnement socio-économique qui donne naissance à l’expression du féminisme, et non l’inverse. 

Le concept de chevalerie, dans son intention originelle, était la volonté d’exercer un contrôle social dans un environnement sans loi (littéralement). Plus tardivement, lorsque les richesses sont cumulées et qu’une classe supérieure évolue, les extensions sociales de l’impératif féminin font de même. 

Fusionner la philosophie et les rituels de l’amour courtois avec le code de la chevalerie était une extension de l’impératif féminin – et une fusion durable puisqu’elle dure encore de nos jours, ajouterai-je. Ce que les hommes féministes ont du mal à comprendre, c’est que l’idée moderne qu’ils se font de la chevalerie n’est en réalité qu’une sorte « d’idéalisme arthurien » bâtard du dernier millénaire, qui a jailli de l’imagination des femmes, lorsque ces dernières cherchaient un moyen de mieux exercer leur hypergamie, à l’époque.  

Il n’est donc pas surprenant que l’ancien modèle de chevalerie romancée d’aujourd’hui entre en conflit avec la dernière extension sociale du féminisme moderne. La veille « dévotion masculine » de l’amour courtois se heurte au féminisme moderne dans lequel les femmes veulent tout faire elle-même, par elle-même pour elle-même.


Source : “The Feminine Imperative – Circa 1300” publié par Rollo Tomassi le 2 janvier 2013.