Quand j’étais à l’école primaire, il y avait une grosse fille qu’on appelait « Hamburger ». Elle avait reçu ce nom parce qu’elle avait l’habitude de traîner avec une fille maigre (« Hot Dog ») et le contraste entre leurs physiques était amusant pour nos yeux d’enfants de 11 ans. Hamburger faisait de son mieux pour répondre à nos railleries, mais mes copains et moi avions des langues d’argent, et nous revenions avec une réplique encore plus drôle face à tout ce qu’elle pouvait inventer. Les foules se rassemblaient. Elle a fini par reconnaître qu’il valait mieux laisser passer.
Ça semble méchant avec le recul, mais tout le monde a vécu ça à un moment ou à un autre. Chez les garçons, nous avions une pratique où l’on se faisait « sauter dessus » pour avoir dit quelque chose de particulièrement idiot. Dès qu’il y avait un consensus silencieux sur le fait que ce que vous aviez dit était débile, quelqu’un criait « sautez-lui dessus ! » et tout le monde recevait quelques gifles pas très dures mais pas légères non plus. J’en ai eu ma part.
Hamburger semblait me suivre d’année en année et réussissait à garder la même apparence jusqu’en troisième, où elle a soudainement perdu 40 ou 50 centimètres de tour de taille pendant l’été. Il m’a fallu une seconde pour la reconnaître la première semaine d’école, mais je n’ai pas tardé à réaliser qu’il y avait une fille raisonnablement mignonne sous tous ces kilos de graisse. En peu de temps, elle a aussi laissé tomber Hot Dog et s’est retrouvée avec une compagnie plus haut de gamme. Les choses s’amélioraient dans la vie d’Hamburger.
A l’époque, il n’y avait pas d’étiquette pour ce que nous avions fait. De nos jours, on appelle ça « Fat Shame » – avec un F et un S majuscules – et ça peut vous faire renvoyer de l’école, passer à la télévision, ou même vous faire arrêter. Pire encore, quelqu’un peut créer un groupe Facebook pour rassurer le sujet de vos observations en lui disant qu’il n’est pas vraiment gros, ou que c’est en quelque sorte normal.
Il existe aujourd’hui en Occident un mouvement bien ancré d’apologistes de la corpulence, qui considère qu’il n’est pas correct de faire remarquer aux gens la simple vérité. Contrairement à d’autres formes de discrimination, la grosseur (surtout chez les jeunes) est presque entièrement sous le contrôle de la personne dans 95 % des cas, malgré ce que beaucoup de gros et leurs apologistes voudraient vous faire croire. Des célébrités comme Adele affichent leur obésité sans crainte et de manière grossière. Après tout, qu’allez-vous faire à ce sujet ?
Cette semaine, une histoire très médiatisée a fait le tour du monde : trois chars d’assaut atteints d’obésité morbide se sont plaints auprès de la direction du restaurant malsain où ils devaient enfiler leur sac de nourriture ce soir-là. Apparemment, leur serveur avait tapé les mots « Fat Girls » dans un champ de leur ticket de caisse destiné à l’aider à identifier les clients. Le manager ricanant a presque réussi à acheter leur silence avec de la nourriture (un geste astucieux de sa part), mais il a fait l’erreur de sous-estimer l’offre.
Je suis convaincu que la pression sociale constante que nous avons exercée à l’école primaire a joué un rôle dans l’amélioration de Hamburger. En fait, nos vérifications et corrections collectives nous ont tous améliorés. Dans un code non-écrit, notre petite communauté d’écoliers corrigeait le comportement des autres. Qu’il s’agisse d’un niveau de forme physique inacceptable, de blagues idiotes ou de dénonciation, vous saviez que vous étiez responsable. Votre réputation comptait, et la dernière chose que vous vouliez faire était de vous mettre dans l’embarras ou d’embarrasser les autres. Les choses ont bien changé en peu de temps.
Ne vous méprenez pas : la culture de la honte est bien vivante en Amérique. Mais certains types de honte ont été jugés inacceptables, tandis que d’autres restent tout à fait acceptables. Imaginez que cette table ait été peuplée de gros et que le ticket de caisse ait dit « Gros gars ».
Que se serait-il passé alors ?
Source : « The power of shame » publié par Tuthmosis Sonofra le 12 décembre 2012.