La morale dans la manosphère.

Angéliser ou diaboliser des observations entrave la compréhension réelle d’une chose. 

Je dis cela, non pas parce que je ne pense pas que la morale soit importante dans l’expérience humaine, mais parce que nos interprétations de la morale et de la justice sont considérablement influencées par notre nature animale, et souvent plus que nous ne sommes prêts à admettre. Il est assez difficile de se dissocier d’une réaction émotionnelle, mais l’ajout de couches de moralisme à une question donnée ne fait qu’alambiquer les choses, et empêche une meilleure compréhension desdites choses, de leur décomposition en parties constitutives. Cela dit, je comprends aussi que l’émotion et, dans une certaine mesure, le sens du moralisme, sont également caractéristiques de l’expérience humaine, il faut donc que cela soit pris en compte dans les interprétations de questions aussi complexes que celles débattues dans la manosphère.

Bien que je sache que l’observation d’un processus change le processus lui-même, c’est ma doctrine que de ne pas tirer de conclusions moralistes dans toute analyse que je fais, parce que cela ajoute un parti pris alors que ce n’est aucunement nécessaire. Le problème, c’est que ce que je propose (et ce que d’autres proposent également dans la manosphère) est une vérité si crue, qu’elle offense les sensibilités de nombreuses personnes [sensibilités dans lesquelles ces personnes ont investi leurs Egos, de telle sorte à ce que critiquer leurs sensibilités revient à les critiquer eux-mêmes, dans ce qu’ils sont]. Mon intention n’est pas vraiment d’offenser, mais c’est souvent le résultat obtenu, c’est ce qui arrive dès que l’on dissèque les croyances qui semblent contribuer au bien-être d’un individu. 

Arrêtons-nous sur ce point quelques instants : la raison pour laquelle ce que je propose semble nihiliste, cynique et conspirationniste, c’est parce que c’est « analytique », mais sans le vernis de la morale. Par exemple, quand j’ai écrit l’article « les épouses de guerre », c’était en réponse à la plainte commune des hommes qui viennent de se faire larguer par une copine ou une épouse, selon laquelle les femmes peuvent habilement et rapidement passer à une nouvelle relation. Je voulais explorer les raisons pour lesquelles ce phénomène existe, et pourquoi il fonctionne, mais d’un point de vue moral, il est assez difficile d’admettre qu’en raison de l’hypergamie, les femmes disposent d’une capacité innée à se départir émotionnellement d’un homme et de passer à un autre partenaire de manière très fluide. Si j’aborde le sujet en commençant par : « n’est-il pas injuste que les femmes disposent de la capacité de ‘passer à autre chose’ plus facilement que les hommes ? », non seulement ma prémisse est biaisée, mais en plus, je me trouverai dans la situation de celui qui analyse les implication morales d’un dynamique, et non la dynamique elle-même. 

Je risque toujours de passer pour un connard, parce qu’en analysant les choses, c’est ma signature, ma pratique, mon habitude, de me dépouiller de tout aspect moral. Cela remet en question des concepts dans lesquels nous avons investi notre Ego, et quand cela arrive, les gens interprètent cela comme une attaque personnelle, parce qu’attaquer une idée dans laquelle on a placé notre Ego, c’est attaquer l’Ego lui-même, et les concepts dans lesquels l’Ego est investi sont nécessairement des concepts auxquels notre personnalité est attachée et desquels dépendent notre propre bien-être. Bien que je reçoive de nombreuses critiques venant de femmes, lorsque je mets l’accent sur l’impératif féminin, ne pensez pas que c’est limité au côté fémino-centrique du champ idéologique – je reçois tout autant de vitriol de la part de la manosphère quand je publie des articles comme « l’apparence compte » ou « les critères physiques selon les femmes », sur l’importance que les femmes accordent réellement au physique d’un homme. 

Si vous choisissez de fonder votre valeur personnelle à partir d’un certain sens ésotérique du sexe et de ce qu’il « devrait » signifier, libre à vous, mais je trouve que c’est une position beaucoup plus saine que d’accepter un équilibre entre nos natures charnelles et nos aspirations plus élevées. Ce n’est pas l’un ou l’autre. C’est « OK » de vouloir baiser, juste pour le plaisir de baiser – le sexe n’a pas à être une source de sens existentiel. Si vous pensez que le sexe signifie quelque chose « de plus », alors sachez que c’est là votre propre perspective subjective – même dans le mariage, il y a le « sexe d’entretien » et il y a le sexe significatif et mémorable – mais c’est une erreur de penser que la totalité de l’acte physique doit avoir une certaine signification cosmique.

Il est tout aussi malsain de se convaincre que l’auto-répression est une vertu que de penser que les indulgences sans entraves sont des libertés. Il y a un équilibre.


Source : « Moral to the Manosphere » publié par Rollo Tomassi le 23 mars 2012.  

Illustration : Akwice.