Le Tao du jeu.

Il y a un grand nombre de concepts dans la théorie du jeu de séduction qui sont difficiles à définir avec précision. Comprendre les subtilités de la dynamique homme-femme est souvent un chemin difficile à parcourir en raison des interprétations individualisées de ce qu’un terme ou un concept particulier devrait signifier dans un sens plus global. La « théorie du jeu de séduction » est d’ailleurs un terme avec lequel j’ai du mal depuis les gens pensent que cela semble exclure la pratique réelle. Pour mémoire, je crois qu’il est tout aussi important de parfaire ses compétences en séduction que de comprendre pourquoi ces compétences fonctionnent et donnent des résultats.

« Ikigai ». 

Le concept d’Alpha est un autre point de blocage pour beaucoup d’hommes, qu’ils soient branchés ou débranchés de la matrice féminine – certains rejettent même les concepts d’alpha et de beta. Je trouve que, pour la plupart, les gens ont beaucoup de mal à concilier les principes de la théorie du jeu et, dans une plus grande mesure, la façon dont la psychologie évolutionnaire la complète, car les gens y ajoutent un sens appris de la justice morale, qu’ils croient essentiel aux interactions humaines. Je pense que les êtres humains, à des degrés divers, ont une capacité innée de révulsion face à des idées qui révèlent le nihilisme très réaliste et inévitable qui existe dans la nature fondamentale du monde. J’en veux dire par-là que nous semblons avoir un certain refus primaire pour tout ce que nous semble être une situation désespérée. Les Japonais ont un terme pour cela : « Ikigai », qu’on peut vaguement traduire comme « une raison d’être ». Cela ne me surprendrait pas le moins du monde si, à l’avenir, nous découvrions que les humains (et d’autres animaux d’ordre supérieur) ont « logiciel » neuronal spécifique directement lié au rejet du désespoir. De toute évidence, un câblage neuronal qui favorise « l’Ikigai » serait un atout de survie évolutif très précieux pour une espèce donnée.

Paradoxalement cependant, il y a dans la suggestion d’une « compétence » biologique innée qui servirai à rejeter le nihilisme, comme une confirmation de la validité de cette condition désespérée. En d’autres termes, la même racine psychologique-évolutive qui nous donne une capacité de désirer la justice ou qui nous fournit un sens de la morale (quelle que soit la définition de la morale) est la même racine qui nous oblige à rejeter obstinément la réalité de nos situations. La même psyché qui veut rejeter les concepts valables comme la distinction alpha/beta, l’hypergamie, le marché sexuel, ou une pléthore d’autres idées difficiles à accepter de la théorie du jeu de séduction, est la même psyché qui veut rejeter le désespoir que ces mêmes concepts peuvent ou ne peuvent pas représenter.

Gardez cela à l’esprit lorsque vous tombez sur un nouveau concept dans le jeu de séduction. La réalité dans laquelle nous nous trouvons est très cruelle lorsque vous l’abordez d’un point de vue binaire et absolutiste : « juste ou mauvais », « bien ou mal ». Cela peut satisfaire un besoin de se sentir « bien-pensant », mais ce n’est jamais un bon point de départ pour une compréhension réelle qui peut vous bénéficier plus tard. C’est ce avec quoi les détracteurs de l’évo-psychologie luttent : tenir compte d’un élément humain dans les déterminants environnementaux et biologiques. Dans la savane africaine, un guépard qui pourchasse une gazelle n’est pas un « mauvais » guépard, et la gazelle n’a pas de « droit » à échapper à la mort. C’est ainsi parce que c’est ainsi, tout simplement. 

Si je devais balancer un steak cru bien juteux devant un doberman affamé, pourrais-je blâmer le chien s’il dévore un morceau de ma main avec le steak au moment où il mord ? Il fait ce qu’un chien affamé fait. Lorsque votre femme est excitée en présence d’un homme affichant des indices d’homme Alpha, ou que vous êtes excité lorsque vous regardez le corps d’une belle femme nue, c’est l’impératif biologique à l’œuvre. Ce n’est pas bien ou mal, c’est ainsi parce que c’est ainsi. 

La biologie l’emporte sur la condamnation.

Cette position (qui consiste à accepter la biologie telle qu’elle est) gêne habituellement les personnes investies dans l’idéologie de la « responsabilité personnelle ». Ils pensent que cela signifie « déterminisme biologique », et par conséquent, que cela accorde un « laissez-passer gratuit pour tous les péchés ». Cependant, ce que je laisse entendre ici, c’est que l’influence primordiale est celle de notre biologie ; il n’y aurait pas besoin de condamnations si ce n’était pas le cas. L’erreur réside dans l’idée que les convictions sont la mesure et que la biologie est le facteur limitant. La première question n’est pas de savoir si vous pouvez résister à la tentation, mais plutôt de savoir que la tentation existe en premier lieu. Il n’y a pas de tentation sans raisons. Ce que la plupart des gens ne parviennent pas à saisir ici, c’est qu’aucune auto-conviction qui a pour but de modifier le comportement, l’état d’esprit, la croyance, etc. serait nécessaire pour un individu si l’état opératoire (la biologie dans notre cas) n’était pas en conflit avec ce que nous percevons comme étant dans notre meilleur intérêt global. La biologie l’emporte sur la conviction parce que c’est l’état opérationnel pour nous.

La biologie détermine les convictions que nous devons construire afin d’optimiser nos existences. Nous aggravons ensuite cela avec des couches de « conviction » de plus en plus complexes sur notre état biologique afin de remédier aux incohérences de nos désirs naturels. Ou alors, à l’inverse, nos impulsions naturelles nous inciteront à rationaliser les failles nos convictions, ce qui nous permettra d’exprimer nos impératifs biologiques.

Enlevez le sexe de l’équation pendant un instant. En tant que bodybuilder hors-circuit, je dois rester « coupé » pour une compétition à venir. Je dois donc effectivement me priver pour les 6 semaines précédentes de toute la nourriture que mon corps désire instinctivement. Chaque fibre dans mon corps veut manger une tranche de pizza, mais ma conviction de paraître beau et d’être à l’avantage face à la concurrence submerge cette envie primaire. Vous diriez alors « eh bien, voyez ! La conviction l’emporte sur la biologie », mais l’état opératoire est ce que ma biologie m’incite à faire ; manger des féculents / aliments sucrés afin de prévenir la famine et de maximiser ma capacité de survie en conservant des réserves d’énergie en cas d’urgence. Ma faim est l’état opératoire : sans elle, la conviction de la réprimer n’est pas extraordinaire. La conviction est subordonnée à la biologie, parce que juste après la séance, je suis à la pizzeria en train de manger 3 tranches de pizza. 

Parce que ma biologie est l’état opératoire, inévitablement, la conviction ne sera pas tenable et ne suffira pas à empêcher la biologie de se manifester sous une forme ou une autre. Certains états sont socialement acceptables, certains d’entre eux sont socialement pardonnables, certains d’entre eux vous feront passer une vie en prison. Parfois, cela signifie qu’une fille se soûle, qu’elle rencontre un homme, qu’il était mignon et qu’elle couche avec ce type en dépit d’elle-même. Parfois, cela signifie que les prêtres célibataires deviennent pédophiles, car c’est leur seul moyen d’expression sexuelle, et parfois cela signifie qu’un homosexuel sort du placard… Il y a des conséquences sociales pour toutes ces expressions à des degrés divers, mais encore une fois, le facteur de motivation est l’impératif biologique.

Le marché sexuel tel que nous le connaissons aujourd’hui est le résultat d’un opportunisme biologique qui se mêle à des tampons sociétaux qui sont en constante évolution (et interaction). Les convictions religieuses et les appels au moralisme ne sont pas une isolation efficace contre l’hypergamie et le marché sexuel. En fait, souvent, plus la conviction est ardente, plus l’impératif biologique est influent.

Je trouve que c’est une position beaucoup plus saine d’accepter et de construire un équilibre entre nos impulsions biologiques et nos aspirations plus élevées. Ce n’est pas l’un ou l’autre. C’est totalement « OK », pour moi, de vouloir baiser juste pour le plaisir de baiser – le sexe n’a pas à être une source de sens existentiel. Il est tout aussi malsain de se convaincre que l’auto-répression est une vertu que de penser que les indulgences sans entraves sont des libertés. Il y a un équilibre.


Source : « Le Tao du jeu » publié par Rollo Tomassi le 10 janvier 2012.

Illustration : Zhang Kaiyv.